L’auteur en ses oeuvres

Jadis moquée, bafouée, condamnée, maltraitée, la biographie se porte comme un charme. Un demi-siècle d’anathèmes et les coups de boutoir conjugués de Flaubert, de Mallarmé, de Proust, de Valéry, de Blanchot et des avatars successifs de Barthes ne sont pas parvenus à faire disparaître ce continent littéraire. Mieux, il existe fort heureusement des universitaires pour l’explorer et en dessiner la carte. José-Luis Diaz, qui a beaucoup oeuvré lui-même pour sortir l’écrivain du trou du souffleur, est un de ces aventuriers, et il le prouve brillamment dans son dernier essai (*).

Qu’est-ce qui se joue ici ? Si l’on en croit les biographes, une guerre de frontières selon que l’on choisisse de faire entrer ou non « l’intime » dans le champ de la littérature. Que faire des Mémoires ? Comment traiter les Correspondances ? Si l’on en croit les anti-biographes, une guerre de position où les intrus, leurs pieds coincés dans la porte du Panthéon qui se referme, s’acharnent à être des « érudits sur des riens » (Hugo). Pour certains romantiques, ces « gens-là » ne sont que des scribes du « détail, connaisseurs du vêtement, ignorants de l’âme »… Pour d’autres, le sujet transcendant et infini l’emporte sur l’oeuvre. « No poem is equal to its poet », notait Carlyle. Pour Lamartine, ceux qui prétendaient qu’Homère n’avait pas existé, et que L’Iliade et L’Odyssée étaient l’oeuvre de chanteurs ambulants, étaient dans le tort : « Cette opinion est l’athéisme du génie ; elle se réfute par sa propre absurdité. »

Cette querelle qui traverse le XIXe siècle est bien plus violente que celle des Anciens et des Modernes. Certes, l’« Affaire » remonte à la Renaissance. L’affirmation de l’individu en peinture, et notamment à travers l’art du portrait, donne alors sa pleine mesure dans les récits de vie et les premiers essais autobiographiques. Déjà, on fourbit les armes dans une de ces guerres de religion dont nous avons le secret. Montaigne est renvoyé dans sa tour et ces Messieurs de Port-Royal clament qu’un honnête homme doit éviter de « se servir des mots je et moy ». C’est dire si l’essai de José-Luis Diaz est bien plus qu’une agréable promenade littéraire, il nous permet d’embrasser plusieurs siècles de création littéraire en reposant cette question : « Qui dit moi en je ? »

Joseph Macé-Scaron

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