Indignez-vous, réindignez-vous

Notre temporalité n’est pas la leur. Il est rare que Le Magazine Littéraire choisisse de revenir sur un événement éditorial qui apparaîtra peut-être dans un an ou deux comme relevant de la pure émulsion médiatique. Pourtant, cet achat massif, certains diront compulsif, de la brochure – et non du livre, c’est entendu – de Stéphane Hessel, titrée Indignez-vous ! nous intéresse. Nous nous garderons bien d’en tirer des considérations politiques ou de relever les faiblesses d’un texte qui pèche parfois par simplisme et souvent par relativisme. Il y a des degrés dans l’indignation comme dans la colère ou la révolte, et tous les événements qui heurtent notre conscience ne peuvent être placés sur un plan identique.

À l’inverse, il est préférable d’ignorer les aigreurs de certains essayistes ou philosophes se voyant, d’un coup, dépassés dans leur course vers les sommets de la gloire par un homme de 93 printemps. Hésiode nous le disait déjà : « Le potier en veut au potier, le charpentier au charpentier, le pauvre est jaloux du pauvre et le chanteur du chanteur » (Les Travaux et les Jours, v. 25-26).

On comprend leur amertume. Cette génération poursuivie par ses fantômes se demande : « À quoi cela servit-il de trahir nos “idéaux soixantehuitards” si l’on se fait aujourd’hui bousculer par une figure issue de la Résistance ? » Décidément, nos anciens ne savent plus se tenir. Ces snipers qui tirent sur Stéphane Hessel nous rappellent le mot d’Umberto Eco quand il parlait de « ceux qui veulent faire la révolution avec l’autorisation de la préfecture ».

Joseph Macé-Scaron

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