1 Depuis plus de trente ans le nom d’Edmond Bernus est associé à celui des Touaregs sur lesquels il a publié un grand nombre de travaux d’excellente qualité. Il n’a pourtant pas hésité à leur consacrer un nouvel ouvrage, dans un genre difficile – plus accessible, dit-on, aux géographes – la synthèse. Ainsi se donne-t-il pour tâche de présenter cette société du désert dans son milieu naturel, avec son histoire, son organisation sociale, la place qu’elle réserve aux femmes et aux artisans, son évolution récente et ses révoltes, écartelée qu’elle est entre cinq républiques différentes. Le tout illustré par de superbes photos de Jean-Marc Durou. Disons le tout de suite, ce livre apparaît comme une totale réussite.
2 Sur un territoire aride et immense les Touaregs sont à peine deux millions, parlant pourtant la même langue, « dénominateur commun majeur », et possédant la même écriture. Ils ne sont pas les premiers occupants de ce Sahara auquel on les identifie aujourd’hui : de nombreux monuments funéraires attestent de la présence en ce pays, alors plus fertile, d’autres populations, que lesTouaregs appellent « les gens d’avant », et que parfois ils ont côtoyés, les chassant ou les assimilant. A l’origine de leurs migrations, venues du nord généralement, ils citent, d’un bout à l’autre du Sahara, le nom de femmes ou de groupes de femmes. C’est là une première indication de la place occupée par la femme dans cette société, qui apparaîtra tout au long de l’ouvrage.
3 Le XIXe siècle voit les premiers contacts entre Touaregs et Européens, voyageurs, puis militaires, enfin colonisateurs. De nombreux jugements de valeur sont alors portés sur cette civilisation. Jugements passionnés et contrastés, allant de l’enthousiasme au mépris ; « les Touaregs, » remarque E. Bernus, « ne laissent jamais indifférents ». Alors que le pays semblait avoir accepté la présence des Français – les fusils ne pouvant que l’emporter sur les épées –- il s’embrase en 1916 et 1917 en une révolte qui se transforme en véritable guerre où les chefs touaregs connaîtront quelques succès. Elle vaudra aux nomades « repacifiés » une étroite surveillance administrative, différant entre Afrique du Nord et Afrique noire, le pays touareg étant ainsi coupé en deux. Constituant dans chacun des Etats où ils sont implantés une minorité peu scolarisée, les Touaregs restent à l’écart d’une évolution que, selon E. Bernus, ils n’ont pas vu venir. Ils atteindront l’époque des indépendances sans avoir été vraiment préparés aux changements qu’elle allait représenter.
4 C’est que, de tout temps, la société traditionnelle est organisée de façon hiérarchisée et complexe. Dans chaque grand ensemble politique, ou confédération, une tribu noble domine et fournit le chef suprême, amenokal, dont le pouvoir est matérialisé par un grand tambour, ettebel ou tobol. Son commandement s’exerce à la fois sur des aristocrates – et les vassaux qui en dépendent – et des religieux, « ceux de l’islam ». Tous sont hommes libres, au-dessous desquels figure la classe servile – théoriquement disparue aujourd’hui – rassemblant affranchis, serfs et serviteurs de case, noirs le plus souvent. Attachés aux tribus influentes et aux chefs on trouve enfin les artisans, maîtres du métal, du bois et du cuir, et aussi parfois maîtres de la parole, indispensables et pourtant souvent méprisés.