Entretien réalisé par Azeddine Lateb
La Tribune : Vous venez de traduire Légende et vie d’Agoun’chich de Mohammed Khair-Eddine en néerlandais. Qu’est-ce qui a déterminé le choix de ce texte ?
Hester Tollenar : Je voulais absolument ouvrir la Bibliothèque berbère, un projet dont j’ai pris l’initiative en coopération avec l’auteur Asis Aynan, par un roman de Mohammed Khair-Eddine, un des plus grands auteurs du Maroc, du Maghreb même. Et un des plus fascinants aussi, mais qui n’est pourtant pas connu du grand public. Cela s’explique par des raisons de nature pratique et par le fait que l’œuvre de Khair-Eddine soit généralement assez hermétique. C’est un auteur exigeant. Or, pour introduire un tel auteur au grand public, il faut choisir un ouvrage accessible. Ensuite, les gens peuvent partir eux-mêmes à la découverte. Ce qu’ils feront, j’espère.
Mais le choix de Légende et vie d’Agoun’chich n’est pas seulement lié à l’accessibilité. Il s’agit également d’un roman qui rend hommage, d’une manière émouvante et intense, à la culture berbère du sud du Maroc et qui comprend des passages typiques de l’écriture de Khair-Eddine (les pensées métaphysiques, les hallucinations…). Pour cela, je l’ai jugé plus approprié que Il était une fois un vieux couple heureux, qui est un autre roman accessible de Khair-Eddine et qui est très beau aussi, mais moins représentatif de son œuvre finalement. En somme, Légende et vie d’Agoun’chich est un roman aventurier, captivant, humoristique et très khair-eddinien. Sans compter qu’il s’agit d’un roman qui peut surprendre le public.
Ce texte marque le retour de Mohammed Khair-Eddine au Maroc après son long exil. Il est plutôt moins complexe que les œuvres antérieures. Ceci dit, sa langue ne vous a-t-elle pas dérouté par moments ?
Bien sûr que si, cela est inévitable avec l’écriture de Khair-Eddine. La traduction a été un véritable défi et j’ai dû consulter un bon nombre de gens, faire beaucoup de recherches et surtout me mettre souvent «dans la peau» de Khair-Eddine afin de comprendre certains passages. Je l’ai fait avec un grand plaisir et avec reconnaissance aussi, c’est beau de pouvoir s’enrichir d’une telle manière.
Est-ce que le souffle sismique de Khair-Eddine est facile à traduire ?
Haha, «le souffle sismique», un terme bien khair-eddinien… Non, il n’est pas facile à traduire et j’ai souvent regretté de ne pas pouvoir poser de questions à l’auteur. En même temps, il est tellement fascinant que l’on ne désire rien d’autre que de le transmettre le plus parfaitement possible, c’est motivant et inspirant. C’est du moins la façon dont je l’ai vécu.
Quel sens donnez-vous à cette expérience de traduction ?
Pour moi, cette traduction est d’une très grande importance, et ce pas seulement au niveau professionnel. La culture amazigh me tient à cœur, khair-eddine me tient à cœur et Légende et vie d’Agoun’chich est le premier roman à paraître dans la Bibliothèque berbère: c’est un rêve qui se réalise.J’ai vraiment vécu avec ce roman la plus grande partie de l’année dernière, je le portais toujours en moi (et souvent littéralement sur moi). Cette traduction m’a beaucoup appris. En plus, au mois de février dernier, j’ai eu la chance de visiter le «triangle magique» du Souss : Tiznit-Tafraout-Taroudant, où se déroule le roman.
Comptez-vous traduire d’autres textes de Khair Eddine ?
Un jour peut-être oui, mais pour l’instant je me concentre sur les autres traductions à venir pour la Bibliothèque berbère. Comme les Chercheurs d’os, de Tahar Djaout, sur lequel je travaille en ce moment. Et Nedjma, le grand classique de Kateb Yacine, mais aussi des romans de Taos Amrouche, Mouloud Mammeri…
Un ami m’a parlé aussi de l’œuvre de Kateb Yacine, Nedjma. Allez-vous aussi l’introduire dans la Bibliothèque néerlandaise ?
Oui. Et nous avons également prévu d’inclure des ouvrages non francophones, de Mohammed Choukri, Ibrahim Al-Koni, Mohamed Mrabet…
A L