Le 14 juillet 1926, la France du Cartel des Gauches rassemble sous l’Arc de Triomphe la coalition improbable des vainqueurs de la guerre du Rif : un superbe cliché, où semble tenir toute l’histoire de la IIIe République coloniale, immortalise Aristide Briand, président du Conseil, entouré d’Édouard Herriot, Paul Doumergue et Philippe Pétain, du dictateur espagnol Primo de Rivera et du sultan du Maroc Moulay Youssef. « C’est dans le même esprit de paix, avait affirmé Briand à la Chambre en décembre 1925, que nous entendons terminer dans un bref délai les affaires du Maroc et de la Syrie aussitôt qu’auront été réduites les agressions fomentées contre l’oeuvre de civilisation et de traditionnel libéralisme de la France » ; un an plus tard, victorieux d’Abdelkrim, il reçoit le prix Nobel pour son œuvre de réconciliation internationale. C’est bien une guerre et non une simple « affaire » qui s’est pourtant déroulée dans le Rif, dans laquelle la France a été engagée à partir d’avril 1925, mais que les Espagnols avaient déclenchée en 1920 sans parvenir à la terminer. Une guerre totale, moderne, et oubliée, que restituent avec passion deux auteurs, Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié. Leur propos, malheureusement, n’est étayé par aucune note de bas de page : malgré la qualité de l’ouvrage, l’administration de la preuve s’en trouve de ce fait affaiblie. Les deux auteurs, certes, ne sont pas historiens de formation. Mais une connaissance, même intime, du Maroc, acquise pendant de longues années d’exercice de leurs métiers respectifs d’avocat et de journaliste, ne peut suppléer à l’absence complète d’apparat scientifique.
Le livre s’appuie sur une bibliographie en langue espagnole qui s’est considérablement renouvelée depuis le milieu des années 2000. Rien d’étonnant à cela : la guerre du Maroc est un enjeu clé de l’histoire espagnole de l’entre-deux-guerres. Elle a porté Primo de Rivera au pouvoir, et constitué pour Francisco Franco une école et un marchepied. Elle a scellé aussi la rencontre entre Philippe Pétain et la droite traditionaliste et philofasciste de la péninsule : sous l’œil attentif du dictateur, le maréchal vainqueur reçoit en février 1926 à Tolède la médaille militaire des mains du roi Alphonse XIII. Auréolé de son prestige acquis pendant la Première Guerre mondiale, Pétain a écarté Lyautey avec la bénédiction de Paul Painlevé, et a transporté au Maroc les méthodes de la guerre européenne. Le besoin était urgent que soit porté le coup de grâce à la « République du Rif », qui menaçait l’équilibre du protectorat marocain.
Aux origines de la guerre du Rif
L’insurrection du Rif à partir de 1921 n’est pas un accident. Elle est la conséquence de la lente progression des Espagnols depuis le milieu des années 1900. En 1909 et 1910, les Espagnols avaient déjà subi une série d’humiliantes défaites, dont l’onde de choc s’était répercutée sur le continent. L’exécution de l’anarchiste Francisco Ferrer en octobre 1909 était la conséquence directe de la grève insurrectionnelle déclenchée en Catalogne contre le rappel des réservistes. C’est donc pour diviser l’ennemi que le Service espagnol des Affaires Indigènes, imité de son homologue français, finance largement un « parti de l’Espagne » et dérègle délibérément le jeu coutumier des relations entre tribus rifaines. L’étude de la stratégie espagnole de conquête du Rif est un aspect passionnant du livre.