La mafia financière

Entretien ds “die Welt”

09/06/2011 à 14:30

traduction Timiota
9 juin 2011 à 00:43

Un des acteurs majeurs de la lutte anti-fraude parle des coupables de la crise financière et de leurs soutiens politiques

Peu de personnes en savent autant sur la criminalité organisée que Wolfgang Hetzer, chef du Département du renseignement, de l’évaluation stratégique et de l’analyse « à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) à Bruxelles. Avec die Welt, il a confié ses impressions sur les machinations des gestionnaires financiers et les politiciens, qui ont conduit à la Grande Dépression et la crise de la dette européenne.

Die Welt: M. Hetzer, pourquoi ce sujet de la crise financière [lié à la corruption]?

Wolfgang Hetzer: Lorsque Premier ministre grec Giorgos Papandreou était en Allemagne, il a déclaré que son pays est dans cette difficile situation parce que la corruption est largement répandue en Grèce. Je précise toutefois que mon livre « la mafia financière » n’est lié en aucune façon avec mes fonctions officielles. J’exprime des opinions personnelles qui ne sont endossées par la Commission Européenne en aucune façon.

Die Welt: Vous avez dit que la crise financière internationale n’a pas été une fatalité.

Wolfgang Hetzer: Cette crise n’est certainement pas une catastrophe naturelle. Ce n’est pas une sanction divine. Ce n’est pas une malédiction satanique, mais elle a ses racines dans des conduites et des défaillances humaines. A ces conduites appartient, généralement parlant, la liberté des paris sur les produits financiers hautement spéculatifs tels que les dérivés. Et côté défaillance, parmi beaucoup d’autres, le contrôle défectueux des activités ou encore l’incapacité d’établir une structure efficace de surveillance.

Die Welt: A qui jetez vous la pierre, plus exactement ?

Wolfgang Hetzer: Il y a les coupables dans l’industrie financière, afin de continuer à conclure des paris. Et il y a leurs soutiens dans la politique qui leur ont permis ces paris et les ont laissés ne prendre aucune mesure affectant le périmètre accessible aux banquiers d’investissement. La liste des transgressions de la politique est longue.

Di Welt: Nommez en donc quelques unes

Wolfgang Hetzer: La politique a permis aux entreprises financières de ne pas inscrire toutes leurs opérations dans le bilan, et de les cacher. Elle a admis que les banques ne disposent pas de suffisamment de fonds propres en face des risques qu’elles avaient pris. Il n’y a pas eu de limite quant aux opérations sur compte propre des institutions financières avec leurs produits financiers alors que cela aurait été nécessaire. Les politiciens ont admis que les risques de crédit soient transférés jusqu’à 100 pour cent. Et assez souvent ils laissent letravail législatif aux mains des institutions financières elles-mêmes.

Die Welt: Vous voulez dire que les politiciens se font conseillés/influencés ?

Wolfgang Hetzer: Et bien plus que ça. Pensez à la Loi sur la modernisation des investissements [instruments financiers], à la Loi sur la stabilisation des marchés financiers et à la Loi d’accompagnement qui lui est relative [?]. Il s’est fait là une forme particulièrement piquante de privatisation. Parce que évidemment plus l’expertise nécessaire dans la bureaucratie gouvernementale est absente, plus le gouvernement laisse diriger ce projet de loi par les avocats de l’industrie financière. C’est que la politique délègue son cœur de métier principal, à savoir l’expertise dans l’élaboration de la législation. Et il faut pour cela faire payer les contribuables aussi.

Die Welt: La politique serait ainsi le soutien docile des spéculateurs?

Wolfgang Hetzer: Encore pire. La politique s’est laissée balader sur la scène mondiale par l’industrie financière comme si on la tirait par un anneau dans le nez.L’industrie financière a placé ses intérêts par paquets de milliards dans la politique. C’est bien à cette conclusion qu’est parvenue la Commission du Congrès américain quand elle a tenté d’établir les circonstances qui ont mené à la crise financière.

Die Welt: Dans votre livre «mafia financière » Vous vous plaignez d’une « culture dominante de la corruption ». Que voulez-vous dire?

Wolfgang Hetzer: J’entends par là que les pratiques de corruption dans la sphère [?] économique et dans la politique semblent de plus en plus présentes. La rationalité économique a abdiqué. les contre-pouvoirs [Fachzwänge ?] ont été suspendus. Au lieu de cela, une politique d’intérêt à sens unique a été établie.

Le Monde: Comment doit-on se représenter cela?

Wolfgang Hetzer: Le monde financier suit la logique de la mafia, qui est de suivre le maximum de profit avec le minimum de risques. Cela signifie que tous les moyens sont utilisés, dans un but [promesse?] d’efficacité , comme à travers des contacts dans les entreprises, le gouvernement et la politique. L’idée que la mafia vraiment dangereuse est celle caractérisée par la violence, est naïve. Leur menace majeure est leur influence, leur pouvoir par les liens qu’ils construisent, la façon qu’ils ont ainsi de corrompre lois économiques à leur propre avantage, de les faire dysfonctionner ou ne pas entrer en vigueur [quand ça les gênerait]. Telle est la logique de la mafia.

Di Welte: Qui compose ces mafia financières?

Wolfgang Hetzer: ce sont des gens qui appartiennent à toutes les institutions financières, toutes les banques d’investissement dans la mesure où elles œuvrent exclusivement pour leur propre bénéfice à vendre des produits [structurés] et aux limites de la trahison des parties[(clients ?] – alors qu’elles parient en même temps sur leur baisse -. Pourquoi pensez-vous que le procureur général de New York s’en prend à la Deutsche Bank ? Parce qu’ils n’ont pas agi sur le marché immobilier comme aurait du le faire une Banque honorable.

Die Zelt: Quel rôle ont joué des gens comme le chef de la direction de la DB Josef Ackermann lors de la crise financière?

Wolfgang Hetzer: Ackermann a le pouvoir plutôt deux fois qu’une. Et une grande puissance que vous pouvez percevoir en lisant le bilan de sa banque. Et parce que c’est le cas, son rôle pourrait être quelque peu comparé à celui de l’ex-président de la Fed Alan Greenspan. Que Greenspan sourie, et c’était, selon les besoins, interprété de toute façon. Peut-être qu’il ne savait pas pourquoi il sourit. Et si Ackerman dit quelque chose sur la Grèce ou l’euro, alors tous l’écoutent attentivement. Il est puissant en vertu de sa fonction.

Le Monde: Quelles sont les motivations au sein de la mafia financière?

Wolfgang Hetzer: C’est l’avidité qui les anime. La cupidité et l’auto-privilège. Par cette auto-privilège [prise d’intérêt] et avec des « bonnes volontés » en réalité achetées, se créé un milieu dans lequel la participation réussie à des orgies d’enrichissement devient le seul but de l’action. Qui n’a apporte pas à ce moulin un ego correspondant ne s’élève pas dans les cadres du monde financier. Ce sont des gens qui veulent comparer en continu et qui ont une notion pervertie du succès, sinon il y a certaines choses qu’ils n’auraient pas faites.

Die Welt: Un malade, il a besoin d’aide …

Wolfgang Hetzer: Ces gens ne sont probablement plus sensibles à rien. Avec la mondialisation, ils sont capables de manœuvrer autant de grands gouvernails [barre Räder] qu’ils peuvent se prendre pour le bon Dieu. PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, a dit littéralement: «Nous faisons le travail de Dieu. » Malheureusement, ils n’ont pas une seule pensée pour tout ce qu’on pourrait faire de sensé avec tout cet argent.

Die Welt: Comment est-on parvenu à un tel état?

Wolfgang Hetzer: Parce que nul ne s’oppose à ces personnes. Parce que la politique volontairement se livre à leur emprise, l’électeur, de son coté, fait ses adieux à la politique. Nous nous retirons dans la sphère privée, nous nous résignons et nous lamentons que «ceux d’en haut » de toute façon, font ce qu’ils veulent. C’est une attitude qui a toujours fréquemment conduit à des catastrophes auparavant.

Die Welt: Mais encore?

Wolfgang Hetzer: La situation s’aggrave. Que se passerait-il si la Grèce ne paie pas la fin de Juin ses fonctionnaires? Quelles sont les alternatives entre la faillite de l’Etat et la poursuite des programmes d’aide? En Grèce, et en Espagne le mécontentement grandit. On ne croit plus les politiciens. Les gens voient parmi les élites le règne d’une culture kleptocratique. Ils se sentent trahis par des cliques menteuses [versager?] en politique et en économie.

Di Welt: L’état est-il vraiment victime ou complice?

Wolfgang Hetzer: Norbert Bluem a déclaré que l’Etat est maintenant comme un guetteur[Schmierensteher?] de joueur de casino. Et maintenant, ce guetteur doit faciliter, lubrifier les activités du joueur. Il est le garant de milliards de pertes. Il obtient les factures présentées. Et les banques allemandes et françaises ne craignent rien de plus que la faillite nationale des Grecs , parce qu’ils seraient obligé de mettre une croix sur de grosses créances et d’encaisser de lourdes pertes. Ainsi, les recettes fiscales qui sont encore bonnes en Allemagne seront utilisées pour renflouer ceux-là même qui sont responsables de la situation dans laquelle ils nous ont coincés.

Die Welt: Nous allons donc sauver les banques encore une fois ?

Wolfgang Hetzer: Tout à fait. Tout l’argent dont nous avons besoin pour des besoins sociaux urgents, est maintenant utilisé pour payer les intérêts dus aux banques. Mais de cela on ne parle évidemment pas avec la clarté qui conviendrait.

Le Monde: Pourquoi n’y a-t-il pas de débat politique sur la responsabilité?

Wolfgang Hetzer: Sur ce point, je n’ai pas d’explication. Au contraire, on laisse filer les machinations de la mafia financière, qui pour moi ont leur propre obscénité, haussant loin [achselzuckend hinweg, et cela porte loin ?] . Ainsi des millions de gens voient leurs chances dans la vie trahies, leur avenir trompé. Ce qu’on a fait est un déni d’existence [existenzvernichtend] pour des sociétés entières. Mais il demeure impuni.

Source: http://www.boursorama.com/forum-options-et-warrants-entretien-ds-die-welt-409313242-1

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