Musique et politique

Troisième ouvrage en date du pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboïm, La Musique éveille le temps peut apparaître comme une synthèse et un prolongement de ses deux derniers livres. Une vie en musique (1992) s’approchait de l’autobiographie ; Parallèles et Paradoxes, écrit en 2003 avec son ami Edward Saïd, proposait une réflexion sur les rapports entre musique et société. Ce nouveau livre, qui se présente comme un aller-retour constant entre expériences musicales et événements biographiques, les fait entrer en résonance.

Les nombreux sujets abordés, parmi lesquels le conflit israélo-palestinien, la musique contemporaine, l’interprétation, l’enfance de l’auteur, pour n’en citer que quelques-uns, pourront dérouter les lecteurs habitués aux essais rigoureusement construits développant une idée de manière approfondie. Et, de fait, certains passages sur le temps musical, sur la forme sonate, ou encore sur l’histoire d’Israël ressortissent plus de la bonne vulgarisation que d’une réflexion authentiquement originale. Les spécialistes n’y trouveront sans doute pas leur compte. Il n’en reste pas moins que sous cet apparent foisonnement apparaissent les idées fondamentales et très personnelles de Daniel Barenboïm sur la musique. Retenons par exemple le beau parallèle dressé entre le processus d’interprétation de l’œuvre et ce passage de l’Éthique de Spinoza qui définit les trois régimes de connaissance – empirique, rationnelle et intuitive –, la troisième étant à la fois une synthèse et un dépassement des deux premières. La raison et les sens, opposées depuis des siècles par les théoriciens de la musique se nourrissent mutuellement. Il ressort de ce parallèle que la vraie liberté de l’interprète, et donc son originalité, ne s’acquiert qu’après une analyse approfondie et une intériorisation de la partition à jouer. Le mythe romantique de la spontanéité est justement mis à mal.

Martin Guerpin

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