Manifeste pour une démocratie nouvelle

Mouhamedi Chahid

2011-09-19, Numéro 205


cc K A

En Afrique, dans le monde arabe, les peuples se secouent pour se débarrasser des pesanteurs d’un ordre basé sur de faux airs démocratiques qui fondent un système d’exploitation. Mais sur des airs de liberté (re) trouvée, le risque est grand de s’enfoncer dans des impasses qui poussent à retourner à la case départ. Mouhamedi Chahid appelle à ne pas succomber au démocratisme et montre qu’une autre démocratie est possible.

Du Maghreb au Proche-Orient, des peuples, longtemps engourdis, se lèvent aujourd’hui comme un seul homme pour enfin prendre en main leur destin. Le problème pour ces peuples n’est pas seulement d’accéder à plus de liberté, mais aussi et surtout, de savoir comment user de cette liberté pour se donner le meilleur système politique possible.

Par-delà les désordres et les combats fratricides, cortège inévitable de toute révolution violente, c’est le mouvement irrésistible de l’Histoire qui semble imprimer, à ces terres de vieille civilisation, les prémices éprouvantes d’une renaissance. La première innovation portée par cette renaissance devrait concerner le cœur même du système politique, c’est-à-dire la manière de gouverner les hommes et d’organiser la société. L’espoir est qu’elle apporte au monde une démocratie nouvelle : une démocratie plus authentique, plus juste, plus empreinte d’humanisme et moins asservie aux puissances financières et aux intérêts particuliers.

L’idéal démocratique n’est pas ici mis en cause. Il est le barrage le plus sûr contre toutes les formes de dictature. Malheureusement, la démocratie pratiquée depuis plus d’un siècle, n’est un noble idéal que dans son principe. Dans son application, elle devient une immense imposture.
Le modèle démocratique universel permet qu’un même parti politique détienne à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, le temps d’une législature. La majorité qu’il possède dans l’Assemblée représentative est censée contrôler un gouvernement issu de ses rangs comme s’il était indépendant d’elle. Elle est censée veiller à ce qu’il applique la loi de manière impartiale à tous, sans distinction, et qu’il mette l’intérêt général au-dessus de tous les intérêts particuliers.

C’est un peu comme si vous (alias le peuple), vous êtes propriétaire d’un terrain sur lequel vous voulez construire une maison (alias l’Etat) et que l’architecte que vous avez librement choisi (alias le parti majoritaire au parlement) vienne vous dire: « Les plans de votre future maison sont prêts. J’ai un frère (alias le gouvernement issu de la majorité), Il est entrepreneur en bâtiment ; c’est lui qui construira votre maison sous mon contrôle strict. Nous travaillons toujours en tandem depuis des décennies et des décennies et tout le monde trouve cela normal. C’est mon frère, mais je veillerai à vos intérêts et à vos intérêts seuls. Je contrôlerai de très près la qualité des matériaux et je veillerai scrupuleusement à la parfaite et fidèle exécution de mes plans. N’allez surtout pas croire que, mon frère et moi, nous allons nous entendre sur votre dos: vous savez toute l’amitié que j’ai pour vous, c’est pour cette raison du reste, que vous m’avez librement choisi parmi tant d’architectes. Faites-moi donc confiance! Vous n’aurez pas de soucis à vous faire, car, je le répète: vos intérêts seuls comptent pour moi, non ceux de mon frère”

En d’autres termes, l’homme étant ce qu’il est, cette manière d’articuler les pouvoirs dans les démocraties modernes, est la source évidente de toutes les corruptions. Elle livre en effet les peuples aux ambitions et aux appétits d’une même famille politique, le temps d’une législature. Du reste, au fil du temps, le Système a ingénieusement réduit le champ politique à deux partis dominants qui légifèrent et gouvernent à tour de rôle, dans un délicieux jeu de balançoire, pimenté, en période électorale, par de super shows télévisés, hautement “démocratiques”. Et le peuple hébété d’applaudir !

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, deux éminents hommes d’Etat se sont prononcés sur la démocratie : le premier pour dénoncer la politique des partis, le second pour dire que la démocratie est un mauvais système politique, mais qu’il n’en connait pas de meilleur. La réflexion du premier est tombée dans le désert. Le discours du second a fait florès. Il est ancré, aujourd’hui encore, dans tous les esprits (y compris chez des intellectuels ou prétendus tels ), et semble légitimer le Système par sa durée plus que centenaire.

Or, la longévité du Système ne s’explique pas par sa qualité intrinsèque, mais simplement par le fait que les politiques qui, seuls, pourraient l’amender de l’intérieur, y trouvent leur plein intérêt et veillent jalousement à sa pérennité. Cette longévité ne s’explique pas non plus par les acquis sociaux et les libertés dont bénéficient les pays démocratiques et que, du Sud, on voit avec envie et admiration. Toutes ces libertés et tous ces acquis ont été arrachés de haute lutte par les peuples. Le Système n’a jamais rien octroyé de bon cœur, mais seulement quand il y est contraint et forcé par des manifestations et des grèves. En outre, par ses scandales à répétition, par les injustices et les inégalités flagrantes qu’il génère, par sa soumission aux pressions de lobbys aussi puissants qu’invisibles, il est la cause principale de toutes les crises et de toutes les frustrations ressenties à travers le monde. C’est lui qui fait le lit des extrémismes de tous bords. L’extrême droite, l’extrême gauche, le fondamentalisme religieux, tous, peu ou prou, se nourrissent de ses compromissions, de ses dévoiements et de sa duplicité. Et les voilà tous, ennemis jurés entre eux, qui, pourtant, entonnent d’une seule voix le fameux refrain : ‘’Tous pourris !‘’, assertion que le ‘’démocrate’’, un rien méprisant, qualifie de vulgaire populisme.

Cette assertion est injuste, car, bien évidemment, il existe dans les arènes politiques des hommes et des femmes de bonne volonté, parfaitement intègres, qui mettent l’intérêt public au-dessus de tout. Mais ils sont malheureusement une petite minorité, noyée dans la grande masse des cyniques : gens le plus souvent intelligents, compétents et efficaces, mais qui mettent leur intérêt personnel et l’intérêt de leur clan, largement au-dessus de l’intérêt général. Autour de ceux-ci gravite toujours l’inévitable petite légion des médiocres qui, au prix d’une fidélité quasi animale au maître du moment, finissent souvent par avoir quelque niche dorée. On les retrouve en un rien de temps, député, ministre ou ambassadeur. Du reste, l’une des situations humainement la plus absurde, sinon la plus pathétique, est celle de l’homme d’exception commandé par une médiocrité de cette espèce, qu’une faveur imméritée a simplement hissée sur le haut pavois de quelque parti politique.

Les peuples qui se réveillent aujourd’hui pour un autre destin se doivent de récuser un tel système, un système qui produit du faux, car bâti sur du faux (la soi-disant séparation des pouvoirs) , un système qui, derrière des slogans égalitaires, produit tant d’inégalités, un système qui, in fine, répartit la société en trois classes : celle des poules pondeuses, celle des cuisiniers et celles des mangeurs d’omelettes.

Comme dans un élevage industriel de poulets, on retrouve à la base des sociétés modernes la multitude de tous ces lève-tôt stressés qui courent le matin à leur travail pour produire des biens et des services et dont le Système organise tant bien que mal les commodités de base (logement, transport, soins de santé ). Une fois l’an, on leur permet de vivre enfin de manière naturelle: on les libère des hangars à éclairage artificiel pour les laisser un temps gambader dans la nature, à la lumière du jour.

Vient ensuite la petite légion des cuisiniers: hommes politiques et hauts cadres dirigeants. Ceux-ci récoltent les produits de l’élevage, s’affairent aux fourneaux et s’octroient au passage une part des victuailles avant de servir les plats.

Enfin, tout au sommet de la pyramide, trône l’infime petite minorité des mangeurs d’omelettes. Confortablement installés dans de superbes demeures, ils forment les bienheureux ‘’happy few’’ de cette super jet-set dont la fortune fleurit dans les paradis fiscaux légalement reconnus par le Système. Le temps, l’argent et les distances ne comptent pas pour ces bienheureux qui s’accaparent la majeure partie des richesses nationales et que le peuple des poules pondeuses est, de temps en temps, admis à contempler par quelque lointaine lucarne en ayant l’illusion de partager leurs splendeurs.

Est-ce pour reproduire ce modèle de société qu’on veut à tout prix «démocratiser» le monde urbi et orbi? Sous le masque trompeur de nobles principes, le système politique qui régit ces sociétés est la matrice originelle de tous les maux. Tel qu’il est conçu, et encore une fois, l’homme étant ce qu’il est, ce système ne peut produire que corruption, népotisme, collusion d’intérêts, tendances oligarchiques,‘’ dynastisation’’ des fonctions politiques…

Dans de grands pays ‘’démocratiques’’, il arrive naturellement qu’on soit député ou ministre de père en fils et le système permet tout aussi naturellement, que la majeure partie de la richesse nationale soit accaparée par à peine quelques centaines de familles. A quelques variantes près, ce système repose depuis plus d’un siècle
sur le même mécanisme : élections – majorité parlementaire – gouvernement issu de cette majorité.

Ce mode de fonctionnement qui se veut immuable prétend s’appliquer éternellement à des sociétés qui, elles, évoluent à la vitesse de la lumière dans tous les autres domaines. Or, les seules pratiques qui demeurent plus ou moins pérennes dans une société sont les pratiques religieuses. Par conséquent, ce n’est pas la démocratie qu’on veut propager à travers le monde. C’est ‘’le démocratisme’’ : c’est-à-dire une nouvelle religion, présentée comme inattaquable, indiscutable et immuable, une religion qui a ses rites et ses dogmes, ses missionnaires et ses inquisiteurs et qui sait manier, tour à tour, le sabre et le goupillon, la carotte et le bâton.

Il ne faut pas se leurrer. Cette diligence frénétique à répandre partout cette nouvelle religion n’est humaniste et morale qu’en apparence. En réalité, elle vise seulement à tout uniformiser, à tout standardiser dans le champ politique universel. De cette façon, tous les mécanismes de gouvernance à travers le monde deviendront compatibles et obéiront aux mêmes normes, pour le plus grand profit des mêmes puissants bénéficiaires.

Le démocratisme apparaît ainsi comme le nouveau moyen de conquête des contrées non encore intégrées ou pas tout à fait soumises. En effet, on semble dire à tous ces peuples actuellement en ébullition : « Venez ! Entrez en notre religion. Embrassez le démocratisme. Donnez-vous des parlements, même s’il faut commencer par vous entretuer un peu pour cela. Vous le savez maintenant : le démocratisme politique engendre le libéralisme économique qui engendre des inégalités sociales, mais ce n’est pas grave, puisque vous deviendrez des pays ‘’émergeants’’, puis des pays développés. On aidera vos économies. Soyez-en sûrs ! Vous pouvez dormir tranquilles ».

Quand ils se réveilleront, c’est sûr, ils auront des parlements, mais on aura accaparé un peu plus leurs économies. Cela rappelle étrangement cette réflexion d’un vieux chef africain disparu il y a un demi-siècle. Il disait : « Quand les premiers Blancs étaient venus en Afrique, il y a très longtemps, nous, on avait les terres et eux avaient la Bible. Puis, ils nous appris à prier les yeux fermés. Quand nous avons rouvert les yeux, eux avaient les terres, et nous, la Bible »

Les temps ont changé. Depuis quelques mois, l’Histoire en marche connaît, une forte accélération. De grandes mutations sont en cours dont le déclenchement comme les conséquences, ont échappé et continueront d’échapper à toutes les prévisions. La période agitée que nous vivons est donc favorable à tous les questionnements, à toutes les remises en cause.

Pour tous les peuples qui se réveillent aujourd’hui d’une longue léthargie, l’ère du mimétisme fasciné est révolue. La voix du renouveau appelle à porter la révolution, d’abord et avant tout, au cœur même du système démocratique, une révolution pacifique qui bouleversera ses mécanismes traditionnels et qui, à terme, finira par générer des sociétés humaines plus justes, plus solidaires et mieux inspirées.

S’il est reconnu que la démocratie traditionnelle est un mauvais système politique, pourquoi l’humanité tout entière doit-elle accepter comme une fatalité qu’il n’y en a pas de meilleur ? Tous les peuples du monde qui s’interrogent aujourd’hui sur les pratiques et les conséquences de la démocratie traditionnelle sont en droit de tracer d’autres voies à leur avenir. Sortant des sentiers battus qui égarent, ils pourraient révolutionner les mécanismes démocratiques habituels en apportant, par exemple, les innovations suivantes:

1/ Un parlement monocaméral élu, est le détenteur de la souveraineté populaire. Il est la plus haute instance politique de l’état. Les élus appartiennent obligatoirement à des partis politiques. Chaque circonscription électorale élit non pas un député mais un binôme de députés : un homme et une femme. La parité est ainsi assurée à la base et le parlement devient le reflet réel de la société. Avec cette sorte de vision binoculaire, il pourra mieux observer le paysage social, mieux sentir, appréhender et résoudre ses problèmes de société. Le mandat parlementaire est de cinq ans, renouvelable une seule fois, car la professionalisation en politique entraine naturellement des formes de “dynastisation” et présente globalement plus d’inconvénients que d’avantages

2/ La majorité parlementaire, représentante du peuple souverain, a le pouvoir, en particulier :
– de définir la structure du gouvernement (nombre de ministres et définition des ministères)
– d’accepter ou de refuser les candidatures au poste de ministre, proposées par le chef de l’Etat
– d’arrêter le programme du gouvernement
– d’élaborer les meilleures lois possibles dans les domaines économique, social et culturel pour le seul intérêt du peuple
– d’exercer un contrôle étendu sur l’action du gouvernement ainsi que sur tous les rouages de l’Etat.

3/ Le chef de l’Etat est le chef de l’exécutif. Dans une monarchie, le chef de l’Etat est le roi ou la reine. Dans une république, le chef de l’Etat est un président neutre (sans attache partisane ou syndicale, ni intérêts directs ou indirects dans un groupe financier, industriel ou commercial). Il est élu au suffrage universel à deux tours, parmi des candidats connus pour leurs qualités morales et
intellectuelles ainsi que pour leur indépendance d’esprit. Chaque parti politique, représenté à un parlement sortant, désigne, en fin de législature, trois candidats répondant, selon lui, à ces critères et issus de la société civile

4/ Le chef de l’Etat, roi ou président, propose à l’approbation du parlement des candidatures de ministres neutres (sans attache partisane ou syndicale) en nombre conforme à la structure gouvernementale décidée par le parlement, en veillant à ces trois équilibres : régional, socioprofessionnel et démographique. Le parlement a le pouvoir d’accepter ou de refuser la candidature d’un ministre proposé par le chef de l’Etat. Les ministres ainsi nommés ont donc une légitimité indirecte donnée par les députés en tant que représentants du peuple.

5/ Une fois proposées par le chef de l’Etat et agréées par le parlement, les personnalités nouvellement élevées à la dignité deCministre se réunissent à huis clos durant une période maximum de trois jours pour élire celui qui sera le premier d’entre eux. Si, après trois jours, ils ne parviennent pas à élire parmi eux le chef du gouvernement, la liste est annulée dans sa totalité et le chef de l’Etat propose au parlement de nouvelles candidatures.

6/ Le Premier ministre, sitôt élu par ses ministres, désigne à ceux-ci leur affectation, selon la structure gouvernementale préalablement décidée par le parlement.

7/ Le gouvernement, sous la conduite du chef de l’Etat et du Premier ministre, a la charge d’appliquer le programme décidé par la majorité parlementaire.

8/ Le chef de l’Etat préside le conseil des ministres. Le Premier ministre préside le conseil de gouvernement.

9/ Tout projet d’accord ou d’engagement à caractère international est soumis à l’approbation du parlement.

10/ Le gouvernement a la faculté de proposer au parlement des projets de lois qui peut les amender, les accepter ou les refuser à la majorité absolue.

11/ Les tribunaux de première instance sont compétents sur leur circonscription judicaire, laquelle s’étend sur plusieurs circonscriptions électorales. Leurs juges sont élus au suffrage universel à deux tours par scrutin de liste comprenant un juge et deux assesseurs, soit un homme juge et deux femmes assesseurs, soit une femme juge et deux hommes assesseurs. Le mandat des juges élus est de cinq ans renouvelable deux fois. Leur élection est concomitante avec les élections législatives.

12/ Les partis politiques sont financés exclusivement par :
– les cotisations et les dotations de leurs membres,
– une dotation de base payée par l’Etat, qui est identique pour tous les partis politiques légalement constitués
– une dotation variable payée par l’Etat, en fonction du nombre de députés que le parti possède au parlement.

Les partis politiques objecteront contre un système qui donne le pouvoir exécutif à ce qu’ils appellent un gouvernement de “technocrates”. Ce terme est une redoutable trouvaille des partis, qui laisse entendre que l’action gouvernementale est leur monopole et qu’en dehors de leurs rangs, il ne peut exister pour gouverner l’Etat que des robots sans cœur et sans âme. Comment appeler alors ces milliers de responsables sans affiliation partisane qui oeuvrent sous un ministre affilié à un parti? Sont-ils des robots simplement animés par le puissant et immaculé souffle d’en haut, celui du ministre politique qui les commande?

En dehors des partis politiques, ces propositions choqueront sans doute aussi plus d’un savant ‘’constitutionaliste’’. Car, là encore, on présente comme immuable dans ses fondements, la jeune science politique née avec la démocratie moderne, il y a moins de deux siècles, alors même que l’on voit toutes les autres sciences évoluer à vue d’oeil. Pourquoi la science politique, dans ses mécanismes démocratiques, n’évoluerait-elle pas à son tour ?

Une autre démocratie est possible. Celle, basée sur les propositions qui précèdent, est tout à fait praticable, mais le champ de la recherche doit rester ouvert. L’important est de trouver un modèle authentiquement démocratique qui renoue avec l’humanisme, berceau de l’idéal politique, un modèle qui libère la société de la tyrannie des puissances financières, un modèle, enfin, qui, non seulement instruit mais aussi éduque les jeunes générations pour former des sociétés plus créatives, plus policées, plus solidaires; en un mot, plus humaines. Dans cette révolution démocratique tous les acteurs de la vie politique trouveront finalement leur compte: les peuples, les partis politiques et ce qui reste de monarchies dans le monde:

1/ d’abord les peuples ; car la démocratie moderne ne leur profite pas autant qu’elle le devrait. Sous le masque humaniste, elle flatte et excite finalement ce qu’il y a de moins noble en l’homme : égocentrisme, appétit de pouvoir, instinct de domination… (Dans les ‘’jeunes pays’’ que l’on tente de convertir au démocratisme, on s’entretue férocement, non pour la démocratie, mais pour le pouvoir. Dans ‘’les vieux pays’’ on s’assassine politiquement à coups de petites phrases ou de révélations scabreuses).

Contrairement au système actuel, la nouvelle démocratie, elle, drainerait vers la carrière politique un peu moins de cyniques et un peu plus d’hommes et de femmes croyant sincèrement aux idéaux démocratiques, aux valeurs humanistes et aux vertus civiques. L’on ne verra plus toutes ces intrigues, tous ces marchandages, toutes ces luttes à couteaux tirés pour atteindre le pouvoir, qui opposent des personnes et des clans au détriment du peuple. L’on ne verra plus les ministres, longtemps avant les échéances électorales, plus préoccupés de leur réélection que des devoirs de leur charge. L’action politique ne serait plus le monopole des partis, et les personnalités connues pour leurs qualités morales et intellectuelles, mais qui n’ont pas forcément le goût du militantisme partisan, ne se verraient plus interdits de séjour dans le champ politique.

2/ Ensuite, les partis politiques, pièce maîtresse de toute
architecture démocratique. Ceux-ci devraient faire leur examen de conscience et entrer dans l’ère nouvelle avec un esprit ouvert au changement, un réel sens du dévouement à la chose publique, et l’unique ambition de servir les peuples et non de se servir d’eux. Ils auront alors à jouer un rôle accru. La nouvelle démocratie leur donnerait beaucoup plus de pouvoir que celui qu’ils ont de nos jours.

Le parti majoritaire au parlement deviendrait réellement le détenteur de la souveraineté populaire, le temps d’une législature. En effet c’est la majorité parlementaire qui, au nom du peuple :

déciderait de la structure du gouvernement et du nombre de ministres,
— accepterait ou refuserait les nominations au poste de ministre, proposées par le chef de l’Etat,
– arrêterait la politique intérieure et extérieure du pays et d’autres orientations sur la base desquelles son parti aura remporté les élections législatives,
– contrôlerait étroitement et impartialement un gouvernement avec lequel elle n’a aucun intérêt de clan

3/ enfin, les monarchies d’Orient et d’Occident. Les monarchies orientales se répartissent en deux groupes : des monarchies plus ou moins constitutionnelles et des monarchies plus ou moins absolutistes. Dans les monarchies absolues, dans ces monarchies d’un autre âge, le pouvoir tentaculaire du roi paralyse le moindre élan, la moindre initiative, anesthésiant du même coup, l’imagination la plus féconde, le talent le mieux inspiré. Par des pratiques torturées, ces régimes multiséculaires qu’angoisse l’incertitude du lendemain, assurent à l’Etat la curieuse stabilité d’une pyramide qui reposerait sur son sommet.

Il est bien évident que ces monarchies, réveillées par les bouleversements qui les environnent, et enfin conscientes de la marche irrésistible de l’Histoire, ont tout intérêt à adhérer à la nouvelle démocratie qui leur laisse un certain pouvoir et surtout, pérennise leurs dynasties. A l’inverse, les monarchies d’Occident ne sont plus que des institutions décoratives. Ce sont des monarchies fossilisées qui sont devenues comme des coquilles vidées de leur substance. Refluant au fil du temps devant les bruyantes fanfares de l’hymne démocratique, écrit par les idéalistes, orchestré par les marchands et chanté par les politiciens, ces monarchies-là ont perdu à la fois leur âme et leur vocation. Il leur a bien fallu pactiser avec ceux qui leur ont pris le pouvoir, mais leur laissent, à dessein, tout le faste de ce décorum onéreux qui ravit le petit peuple. Ainsi, tous, monarques théoriques et gouvernants réels ont fini par se supporter mutuellement, sous le masque grimaçant de l’entente souriante.

Il ne fait pas de doute que ces monarchies, et peut-être même leurs peuples, accueilleront favorablement les nouvelles idées de démocratie. Elles leur permettront de rejouer un rôle historique, différent de l’ancien et plus compatible avec l’esprit du temps. Soucieux de la grandeur de leurs pays et de la pérennité de leurs dynasties, elles seront le garant moral de la qualité du pouvoir exécutif et renoueront avec leurs traditions anciennes de mécènes et d’instigateurs des vraies valeurs de civilisation, notamment dans le domaine des arts et de la pensée.

Nul doute que les propos qui précèdent sembleront, en toute bonne foi, parfaitement incongrus aux professionnels de la politique et, d’un certain point de vue, ils auront raison, car un vieux sage disait : « le poisson voit toutes sortes de choses, sauf l’eau »A force de baigner dans un système on finit par ne plus le voir. Il faut avoir du temps, de la volonté et cette espiègle énergie de poisson-volant pour s’en extraire et l’observer.

Aujourd’hui l’Histoire commande aux peuples de remettre en cause le système dans lequel ils baignent, de briser les structures qui les régentent et les enchaînent. Elle les appelle à avoir l’audace et l’imagination créative du poisson volant s’ils ne veulent pas finir prisonnier d’une immense et impitoyable madrague.

* Mohammed Chadid se prépare à lancer, au Maroc, un mouvement d’opinion à vocation internationale, l’Alliance pour une démocratie nouvelle basée sur les principes du présent manifeste. Il a actuellement sous presse un livre intitulé « L’Aramoustan ou les lois de l’esprit»

Source: http://www.pambazuka.org/fr/category/features/76414

 

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