Littératures de la France médiévale

1. Le cours de cette année avait pour titre : « Non pedum passibus, sed desideriis quaeritur Deus (Saint Bernard). Que cherchaient les quêteurs du Graal ? ». Consacrer un cours au Graal est toujours téméraire, tant la matière et la bibliographie sont immenses. Lui donner cet intitulé l’était plus encore. À cela s’ajoutait la menace du péché le plus grave qu’on puisse commettre au Collège de France, la répétition, car le cours de 2000-2001 avait porté sur Joseph d’Arimathie de Robert de Boron avant de nourrir, en 2003, le dernier chapitre du livre Poésie et conversion au Moyen Âge.

2. Au reste, on ne peut parler du Graal sans courir un risque, celui du malentendu. Le simple mot de Graal éveille tant de résonances, généralement trompeuses ! Alors que les autres mythes littéraires hérités du Moyen Âge, celui de Roland et même celui de Tristan et Iseut, se sont estompés, le Graal reste présent, explicitement ou par transposition, dans l’imaginaire contemporain. Il nourrit jeux de rôles et jeux vidéos, science fiction et heroic fantasy. Il tient sa place dans le renouveau celtique. Dans le langage des journalistes, poursuivre un but inaccessible, comme mettre fin à une crise financière ou trouver un consensus politique, c’est « chercher le Graal ».

3. Bien entendu, le cours n’a traité que des romans du Moyen Âge, qui sont notre première et notre seule vraie source d’information sur le Graal – et probablement le seul lieu où il ait eu, sous ce nom, une existence. Même dans ce cadre, il n’a pas suivi les approches les plus séduisantes et, aux yeux de beaucoup, les plus fécondes. Il n’a traité ni de la mythologie ni de la préhistoire du Graal. Une approche possible de textes littéraires anciens consiste à remonter jusqu’à leur préhistoire, à en chercher la nature et le sens dans des traditions antérieures, à demi effacées, dont les textes que nous connaissons garderaient la trace, mais sans bien le savoir ni bien le comprendre, qu’ils méconnaîtraient et travestiraient, délibérément ou par ignorance et incompréhension, qu’ils oblitéreraient. Une telle approche est légitime ; elle est passionnante ; elle est féconde, comme l’ont montré de nombreux et magnifiques travaux, de Jean Marx à Joël Grisward, qui a appliqué avec une efficacité remarquable la grille dumézilienne aux récits médiévaux. Elle est particulièrement adaptée à l’étude d’une légende comme celle du Graal, dont l’ancrage dans les mythes est évident. Mais cette approche ne permet pas de répondre à toutes les questions. Que le Graal ait des racines et des correspondants dans la mythologie celtique, et plus largement dans les mythologies indo-européennes, qu’il soit lié à des mythes de fécondité et de fertilité, cela ne fait pas de doute. Les études conduites dans ce sens éclairent des traits au premier abord surprenants ou incohérents des romans du Graal. Elles n’expliquent cependant pas (tel n’est pas leur but) pourquoi ces romans existent, ce qu’ils prétendent être, ni pourquoi ils prétendent l’être, le projet de ces romans n’étant pas de livrer ce que l’anthropologue doit mettre toute son habileté à décrypter en eux.

4. Il est donc également légitime de s’intéresser, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, à ces romans du xiie et du xiiie siècle sans lesquels nous n’aurions pas l’idée de formuler la moindre hypothèse sur le Graal, sans lesquels nous ne le connaîtrions pas et sans lesquels il n’existerait probablement pas. Il est légitime de s’intéresser simplement à ce qu’ils veulent dire, et non pas seulement à ce qu’il y a derrière ce qu’ils disent et qu’ils diraient malgré eux.

Michel Zink

Print Friendly, PDF & Email