Fatema Lourdighi

Qui l’emporte : la femme ou l’homme? 

Conte populaire marocaine
Raconté par Lalla Laaziza Tazi
Recueilli par Fatema Mernissi
Illustré par Fatema Lourdighi

Fatima Lourdighi
La contestation féminine ne vient pas de Paris 

Ce conte est un ” conte pour grands enfant ” aussi, dans la mesure où ceux-ci se croient majeurs et vaccinés contre tous les récits qui se posent d’emblée comme des récits non réels. Les grands enfants de trente ans, surtout ceux qui ont eu accès à l’éducation moderne, se pensent rationnel … et je crois que la est le plus grand des mythes de notre siècle. Le plus grand mythe du siècle est de croire qu’avec la maturité, on se débarrasse des contes de l’enfance et de tout récit qui leur ressemble, tout récit qui nous rappelle, par un détail ou un autre, qu’il ne nous parle pas du monde réel, mais d’un monde fictif, imaginaire. Or, quand on écoute et qu’on observe ce qui les grandes personnes répètent dans leur vie quotidienne, on est obligé d’arriver à la conclusion que les adultes consomment plus de mythes et de contes que les enfants ! La seule différence est que les enfants se doutent un peu de ce qui se passe, alors que les adultes ne font plus la distinction entre ce qui est plausible et ce qui est invraisemblable. Les enfants demandent parfois à la fin du conte : ” Bennia hadchi ? ” (Est-ce que c’est vrai, ça ?). Les très grands enfants ne se posent plus ce genre de questions, ils sont si sûrs qu’ils ne consomment plus que du vrai.

Une exemple en est la conviction très profonde chez un grand nombre de marocains adultes que la contestation féminine de la suprématie masculine nous vient de l’étranger ; elle est importée de Paris et de New York. Elle n’a jamais, selon eux, existé dans notre passé, dans la culture traditionnelle que nos ancêtres ont produite, bien avant que la télévision, la radio et le journal à grand tirage aient fait leur apparition.

Ce petit conte prouve à lui tout seul plusieurs faits assez perturbants concernant notre relation à notre passé :
1.il prouve que la contestation féminine de la suprématie masculine existe dans notre culture ;
2.et, donc, que le marocain qui répète que cette contestation est importée a à choisir entre l’ignorance et la manipulation. Ou bien il ignore son passé, sa culture ; ou bien il connaît cette culture et il la déforme sciemment, ce qu’on appelle de la manipulation.

Ce conte n’est pas isolé ; d’ailleurs, même s’il n’y avait que celui-là, il aurait le poids du symbolique et de l’extraordinaire : Lalla Aicha bent en-Nejjar a des cousines à n’en plus finir : Aicha Laabou, Aicha an-Nessabe et Khaddouj ech-Chemata, etc. et je ne parle que des contes de Fès que je connais bien. Il faudrait relever et analyser systématiquement ce qui existe dans nos régions si diverses et si dissemblables, surtout dans les cultures montagnardes, si marginalisées, si ignorées, avant de se prononcer sur le fait de savoir si la contestation féminine appartient à la culture d’importation.

Une autre univers de contes, si important dans la détermination de notre mémoire collective, univers où la contestation féminine est si violente qu’elle dépasse souvent les jeux de mots, est celui des ” Mille et une Nuits “.

Les ” Mille et une Nuits ” s’ouvrent sur une lutte sanglante entre les sexes. Shahrayar, l’un des princes les plus comblés du siècle, est humilié par sa femme qui le trompe avec son propre esclave. Il déclare la guerre aux femmes et en tue une chaque soir jusqu’à ce qu’il ait décimé les vierges du royaume. Apparaît Chehrazad. Elle va, comme Lalla Aicha ben en-Nejjar, utiliser son cerveau contre la violence masculine qui la menace. La lutte des sexes dévie souvent en une lutte de la raison (femme) contre la violence et la déraison (homme).

Texte: Préface de Fatema Mernissi

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