Un tsunami israélien à l’horizon ?

par Immanuel Wallerstein


Sociologue au Centre Fernand Braudel à l’Université de Birmigham, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale

publié : le 22 juin 2011

 

Les Palestiniens poursuivent l’objectif d’obtenir leur reconnaissance officielle comme État par les Nations unies à l’occasion de la réunion de l’Assemblée générale de l’organisation à l’automne prochain. Ils ont l’intention de demander une déclaration qui affirmerait que cet État existe dans le cadre des frontières de 1967, avant la guerre des Six Jours. Il est pratiquement acquis que le vote sera favorable. La seule question qui demeure en suspens pour l’instant est l’ampleur de la victoire.

Les dirigeants politiques israéliens en sont bien conscients. Ils débattent de trois réponses différentes à y apporter. La position dominante semble être celle du Premier ministre Benjamin Nétanyahou qui propose d’ignorer complètement la résolution et de simplement poursuivre la politique actuelle du gouvernement. M.Nétanyahou estime que depuis fort longtemps l’Assemblée générale de l’ONU adopte des résolutions défavorables à Israël et qu’Israël a toujours réussi à les ignorer. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ?

Quelques personnalités politiques de l’extrême droite israélienne (oui, il existe des positions plus à droite encore que celles de Nétanyahou) disent qu’en représailles, Israël devrait officiellement annexer l’ensemble des territoires palestiniens actuellement occupés et rompre toute discussion sur des négociations avec les Palestiniens. Certains veulent aussi provoquer l’exode les populations non-juives vivant sur cet Etat israélien agrandi.

L’ancien Premier ministre (aujourd’hui ministre de la défense) Ehoud Barak, qui dispose maintenant d’une base politique quasi inexistante, met en garde Nétanyahou sur l’irréalisme de sa position. M. Barak estime que la résolution va représenter un tsunami pour Israël et que, par conséquent, Benjamin Nétanyahou serait bien inspiré de conclure maintenant d’une façon ou d’une autre un accord avec les Palestiniens, avant que la résolution ne soit adoptée.

Ehoud Barak voit-il juste ? Israël va-t-il subir un tsunami ? Il y a de bonnes chances que oui. Mais les chances que Nétanyahou tiennent compte des conseils de M.Barak, ou qu’il essaie sérieusement de conclure un accord avec les Palestiniens avant la date fatidique, sont quasiment nulles.

Regardons ce qui a des chances de se produire à l’Assemblée générale elle-même. On sait que la plupart des pays d’Amérique latine (peut-être même tous) et un très gros pourcentage des pays d’Afrique et d’Asie voteront en faveur de la résolution. On sait que les États-Unis voteront contre et chercheront à persuader d’autres pays de voter contre. Les voix incertaines sont celles de l’Europe. Si les Palestiniens peuvent obtenir un nombre significatif de suffrages des Européens, leur position politique s’en verra fortement renforcée.

Les Européens voteront-ils pour la résolution ? Cela dépend en partie des événements des deux prochains mois dans monde arabe. Les Français ont déjà laissé entendre publiquement qu’à moins de constater des progrès significatifs dans les négociations israélo-palestiniennes (lesquelles n’ont pas vu un début de commencement pour l’instant), ils soutiendront cette résolution. S’ils le font, il est presque sûr qu’ils seront rejoints par les gouvernements du sud de l’Europe. Tout comme par les pays nordiques. Quant à savoir si la Grande-Bretagne, l’Allemagne et Pays-Bas les rallieront, la question reste plus ouverte. S’ils décidaient d’apporter leur soutien à la résolution, cela pourrait faire tomber les hésitations de divers pays de l’est de l’Europe. Auquel cas, la résolution obtiendrait la grande majorité des suffrages de l’Europe.

Il nous faut donc regarder à ce qui se passe dans le monde arabe. La deuxième révolte arabe continue de battre son plein. Bien malin celui qui pourrait prédire exactement quels seront les prochains régimes à tomber et quels sont ceux qui tiendront bon dans les deux mois à venir. Ce qui paraît clair, c’est que les Palestiniens sont sur le point de lancer une troisième intifada. Les Palestiniens, même les plus conservateurs, semblent avoir abandonné l’espoir d’un accord négocié avec Israël. C’est le message qui ressort clairement de l’accord entre le Fatah et le Hamas. Et comme les populations arabes de quasiment tous les pays arabes sont en révolte politique directe contre leurs régimes, comment les Palestiniens pourraient-ils rester relativement tranquilles ? Ils ne le resteront pas.

Et s’ils ne le restent pas, que feront les autres régimes arabes ? Tous ont déjà bien du mal, c’est le moins qu’on puisse dire, à gérer les soulèvements dans leurs propres pays. Apporter un soutien actif à une troisième intifada serait la position la plus facile à prendre dans le cadre des efforts de reprise en main de leur propre pays. Quel régime oserait ne pas soutenir une troisième intifada ? L’Egypte a déjà clairement pris cette direction. Et le roi Abdallah de Jordanie a laissé entendre qu’il ferait de même.

Imaginons par conséquent la séquence : une troisième intifada, suivie d’un soutien arabe actif, suivie d’une intransigeance israélienne. Que feront alors les Européens ? Il est difficile de les imaginer refuser de voter pour la résolution. On pourrait facilement arriver à une situation où seuls Israël, les États-Unis et quelques très petits pays voteraient contre, avec peut-être quelques abstentions.

Tout cela m’amène à penser qu’un possible tsunami se prépare. La grande peur d’Israël au cours des dernières années a été celle de la « délégitimisation ». Ce vote n’aura-t-il pas précisément pour effet de marquer un jalon dans ce processus de délégitimisation ? Et l’isolement des États-Unis lors de ce vote ne risque-t-il pas d’affaiblir un peu plus leur position dans l’ensemble du monde arabe ? Comment réagiront-ils alors ?

 

Source: http://www.medelu.org/spip.php?article830

 

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