Pétrole, lutte contre l’immigration et l’islamisme… Kadhafi exploite les limites de la diplomatie des droits de l’homme. Explicateur.
Depuis lundi, une avalanche de condamnations officielles s’abat sur le régime libyen. Pourtant, les puissances occidentales n’ont aucune emprise sur le cours des événements. Et ne cherchent pas forcément à en avoir.
Selon Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cernam) à Genève et spécialiste de la Libye, certains actes commis par le régime ces derniers jours peuvent pourtant être qualifiés de crimes de guerre.
Au moins cinq éléments expliquent les atermoiements des pays occidentaux.
La rente pétrolière a muselé les pays importateurs
La Libye, quatrième producteur en Afrique, dispose des plus importantes réserves de pétrole du continent. Elle exporte 85% de son or noir vers l’Europe occidentale. Premier client, l’Italie, dont 22% de ses importations proviennent du pays nord-africain.
Le régime jouit ainsi d’une manne financière colossale. Il encaisse chaque années 35 milliards de dollars. Une opulence dont s’est servi Kadhafi pour asservir la communauté internationale, selon Hasni Abidi :
« Il a mis en place une politique d’arrosage visant à faire taire toute contestation au niveau national, mais aussi international : il a financé des groupes d’amitié franco-libyens par exemple.
L’Italie et l’Allemagne forment la police libyenne, car le régime paye cash. Les pays étrangers se retrouvent prisonniers de cette relation avec le pouvoir. »
Contrairement aux autres pays arabes, comme la Tunisie ou l’Algérie, le pays n’a pas de mouvements d’opposition, de diaspora active constituant un contre-pouvoir indirect. Hasni Abidi regrette :
« La Libye est le seul pays qui n’a de compte à rendre à personne. »
Dans ce contexte, les pays étrangers observent prudemment l’évolution des alliances tribales. Une source diplomatique française détaille :
« Les Occidentaux maîtrisent très peu la structure et les rapports inter-tribus. Ils attendent d’en savoir un peu plus avant d’agir, car ils ne connaissent pas vraiment les forces en présence.
Sur qui exactement s’appuyer en Libye ? Est-ce une révolution contre Khadafi ou le fait d’une tribu qui cherche à s’imposer sur les autres ? Si oui, laquelle et quel est son projet politique ? »
Les expatriés pris au piège
Kadhafi a choisi de combattre les protestataires « jusqu’à la dernière goutte de sang ». Des paroles qui obligent les pays étrangers à la plus grande prudence.
Selon notre source diplomatique, la France ne tentera rien tant que ses 750 ressortissants présents sur le sol libyen n’auront pas été évacués. L’imprévisibilité de Kadhafi, son passé terroriste et les menaces brandies lors de son discours inquiètent :
« En cas d’agression, on ne sait pas de quoi Khadafi est capable, ni quelles sont exactement ses capacités militaires ou ses alliances dans la région. Dans la mesure où il est prêt à sacrifier son propre peuple, on ne sait pas jusqu’où il peut aller et ce n’est pas pour rassurer les Occidentaux. »
Les pays limitrophes, cantonnés dans un rôle inférieur par Kadhafi, s’inquiètent aussi du sort de leurs ressortissants en cas d’intervention étrangère. D’après les sources officielles de chaque pays, il y aurait entre 50 000 et 80 000 Tunisiens et environ 1,5 million d’Egyptiens en Libye.
Et les Tunisiens ont été formellement accusés par le régime de fournir de la drogue aux contestataires. La Tunisie essaye donc de faire comprendre à la France qu’elle ne souhaite pas d’intervention qui risquerait de mettre en danger ses citoyens.
Source: http://www.cermam.org/fr/logs/analysis/pourquoi_loccident_ne_vole_pas/