nouveaux fascismes ?

« On ne dit pas fascisme comme ça pour un oui ou pour un non. Je ne dis pas fascisme comme ça pour un oui ou pour un non. Le fascisme, en Espagne par exemple, c’est petits tricornes noirs de toreros et mitraillettes sur torses nus suants, c’est mains sur la tête, c’est rue dégagée en 30 secondes, c’est exécution au garrot vil (…). Le fascisme, c’est la détention administrative : tu rentres en prison, tu ne sais pas quand tu sortiras, tu ne sais pas si tu sortiras. Le fascisme, c’est quand tu ne peux rien dire chez toi, et surtout rien au téléphone ; si tu veux dire quelque chose, même anodin, intime, tu ne peux pas le dire chez toi, tu dois aller loin, dans la nature, ou dans un endroit bruyant, bord d’autoroute, hypermarché. Ainsi le fascisme peut être décrit en une poignée de phrases — net.
Et pourtant non.
Pourtant pas seulement.
Le fascisme n’est pas seul, pas toujours seul. Pas toujours si net, découpé. Le fascisme, c’est aussi la limo de Ben Ali à fond sur la route Sfax-Tunis (voitures dégagées vite fait sur le bas-côté) dans une campagne verdoyante où courent fillettes à nattes en chemin pour l’école. C’est un festival de poésie féminine dont l’inauguration est faite par une rangée de dignitaires séparés du public par une rangée de flics assis au premier rang. Le fascisme, c’est aussi vestiges, restes, habitudes, incohérences — cinq ans, vingt ans après. Ou un pressentiment, dix ans, un an avant. Rend les mondes poreux. Montent alors les signes d’un temps sombre que tu apprends à lire et reconnais en descendant lentement, comme Alice dans son puits très profond découvre qu’elle a le temps de regarder autour d’elle et de se demander ce qui va se passer. Souvent tu frottes tes yeux, pour accommoder, car le fascisme en ses débuts ou en sa fin n’est pas sûr. »
Nathalie Quintane, Tomates. P.O.L., 2010.

Ce chantier se loge dans le choc provoqué par la violence mise en œuvre l’été dernier — en actes et mots — à l’encontre des populations roms, par un pouvoir prompt à désigner des boucs émissaires et à livrer à la vindicte des catégories de populations. À cela s’est ajoutée une cohorte d’autres faits inquiétants : débat piégé sur l’identité nationale ou la laïcité, politiques de plus en plus sévères à l’égard des étrangers, stigmatisation des populations issues de l’immigration ou confusion entretenue entre aspiration à la sécurité et besoin d’ordre. Dans ce contexte délétère, les insultes faisant référence aux années les plus sombres de notre histoire ont fusé : années 1930, fascisme rampant, vichysme… Et ce background historique semble devoir nous accompagner au moins jusqu’en 2012, puisque Christian Jacob reproche à Dominique Strauss-Kahn de n’être pas « terroir » ou que le MJS (Mouvement des jeunes socialistes) produit une image travestissant Sarkozy en Hitler.Plusieurs mises au point d’historiens ont permis de montrer que, certes, comparaison n’est pas raison. Mais l’histoire enseigne aussi qu’il n’existe ni régime, ni territoire, ni époque étanche aux embrigadements totalitaires ou aux idéologies destructrices. Le fascisme — sous une apparence qui justifierait peut-être un nouveau nom de baptême — n’est sans doute pas plus allergique au temps présent qu’il n’a été, dans sa forme historique, allergique à la France (entretien avec Annie Collovald, p.26).

par Joseph Confavreux

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