Le journal de Damas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Samar Yaznek

Babelmed publie le récit de l’écrivaine syrienne Samar Yaznek (1). Celle-ci raconte ses tribulations pendant les manifestations de Damas, le couperet de la répression qui s’abat sur les contestataires et les simples passants, l’atmosphère glauque, pesante, comme irréelle, qui enveloppe la ville, les tentacules de la dictature qui se resserrent inextricablement sur elle.


Je me glisserai dans le sommeil des assassins et je leur demanderai : Avez-vous bien regardé leurs yeux, quand vos balles se sont approchées de leurs poitrines? Avez-vous aperçu le trou de la vie?
Avant que le ciel de Damas ne vire au bleu sombre, ils regardent les doux cercles rouges autour de leurs fronts et de leurs ventres, là où les fenêtres de nos regards s’arrêtent.
Ici, à Damas, là où s’endormiront bientôt les yeux des assassins, là où nous resterons à veiller l’angoisse, la mort n’est pas une question, c’est une fenêtre qui s’ouvre sur de nombreuses questions.


Comme toutes les villes, Damas devient plus belle au cours de la nuit, telle une femme après l’amour. Ce soir, le bleu sombre se teinte de mauve pâle pour nous permettre d’apercevoir les yeux des assassins qui se répandent dans les rues et que nous ne pouvions pas déceler nettement. Qui tue derrière les terrasses et les immeubles? Est-ce un assassin froussard? Oui, tout assassin est un lâche. Comment pourrait-il être courageux s’il s’affranchit au préalable de sa condition morale?
Je quitte la maison et me dirige vers les places et vers les mosquées. A l’heure de midi, je dois connaître les rues de la ville, une par une et place par place. Je ne crois que ce que mes yeux voient. Ce matin, la vérité ressemble à un homme stupide qui avance devant moi en ricanant. Comment parler de vérité alors que les gens se terrent chez eux et que la ville est désertée ? Aujourd’hui c’est un jour de congé et les gens se réfugient dans leur peur.

Samar Yazbek

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