Gymnase du lycée Saint-JosepheIsabelle Lassalle © Radio France
Fondé sur des interventions dialoguées d’écrivains, d’artistes, d’historiens, de philosophes, d’anthropologues ou de sociologues, le Théâtre des idées contribue à éclairer certaines questions soulevées par la programmation et à construire un espace critique en résonance avec les thématiques abordées par les propositions artistiques du Festival.
Conception et modération Nicolas Truong.
Enregistrements en juillet 2011.
– Peut-on réinventer l’école ?
L’école est devenue la chambre d’écho des problèmes moraux, la caisse de résonance de la casse sociale, l’amplificateur des révolutions qui s’accomplissent à l’intérieur des maisons et derrière les écrans de télévision. Autorité contestée, tyrannie de l’immédiateté, ennui, apathie, décrochage ou phobie scolaire, incivilité et désenchantement face à une société où pistons et relations semblent compter davantage que les parcours exemplaires. Loin d’être à l’abri du bruit du monde, l’école bénéficie de la modernité tout en subissant de plein fouet les métamorphoses de ce que l’écrivain Michel Leiris appelait la «merdonité». Et nombre d’enseignants ont l’impression que la société défait le soir après la classe ce qu’ils ont patiemment tenté d’élaborer dans la journée. Le sentiment d’appartenance à un projet qui transcende les individualités s’est évaporé. Le sens du «nous » s’est dispersé. Comment l’école peut-elle fédérer une collectivité à l’ère de l’entre-soi tribal et de l’individualisme intégral? La famille, ensuite, a largement cessé d’être l’alliée naturelle de l’école. La cellule structurante de l’enfant se décharge souvent de sa fonction éducative sur l’institution publique. Autrefois convergentes, les deux instances sont passées de la connivence à la discorde. Autre signe des temps : le sens des savoirs scolaires s’est diffracté et un mouvement de «désintellectualisation » gagne une frange de l’Europe, pourtant construite sur la culture humaniste. Ce constat ne doit pourtant pas conduire à une rhétorique de la déploration, ni au recours à l’incantation d’un passé mythifié. Comment redonner du sens à la scolarité et aux disciplines enseignées ? Comment retrouver le plaisir des apprentissages ? Tels sont les défis pédagogiques de cet entretien croisé entre deux intellectuels soucieux du devenir de l’école publique.
Avec Marcel Gauchet, historien et philosophe et Philippe Meirieu, pédagogue et essayiste.
– Comment penser le commun aujourd’hui ?
Après l’échec du communisme réellement existant et depuis l’avènement du règne de l’individualisme, l’idée de communauté semble un rêve brisé, une attente souvent comblée par les sursauts, réflexes ou replis identitaires. L’idée de partage, de bien commun et de communauté semble voler en éclats, notamment à chaque nouvelle révélation de conflits d’intérêts touchant de hauts fonctionnaires de l’État. D’où le problématique mais compréhensible entre-soi communautaire et la lancinante tentation du repli identitaire. D’où le désir d’ériger un nouveau contrat social. Sur quelles bases politiques, juridiques et esthétiques inventer un nouveau commun des hommes ? Pour Antonio Negri, le commun s’est très tôt identifié au communisme. Un mot que l’on croyait mort et enterré. Or un étonnant regain se fait jour, vingt ans après la chute du Mur de Berlin. Alors que l’on croyait révolu le siècle des « – isme », voici qu’une partie de l’Europe intellectuelle ravive l’idée du communisme. Il faut dire qu’entre le dirigisme du tout-État et la tyrannie du chacun pour soi, le communisme aurait pu dessiner une autre voie. Mais comment réactiver un mot aussi cabossé par les États qui s’en sont réclamés, un espoir aussi démenti par l’histoire ? Comment comprendre notre déficit de « commun»? Il convient de réinventer un nouveau commun des hommes, sans oublier les impasses de la collectivisation du siècle dernier comme de l’atomisation sociale de notre hypermodernité, c’est ce que tente de faire Antonio Negri, aux confins de la politique et du droit, du théâtre et de la philosophie.
Avec Antonio Negri, philosophe.