Mon exposé prend sa source dans les idées exprimées par Félix Guattari au cours des années précédant la rencontre avec Gilles Deleuze (qui date de 1969) et publiées dans Psychanalyse et transversalité (1972). Félix était d’abord un parlant ; sa parole jaillissait comme une source ; il n’était pas à l’aise dans l’écriture. Malgré l’évolution des concepts, il y a une étonnante continuité de l’article inaugural « La transversalité » (1964), à Chaosmose, son dernier livre, publié en 1992. Félix a été inspiré toute sa vie par une vision première, une « intuition philosophique » qui a traversé sans dommage la moulinette du travail deleuzo-guattarien ; elle tient tout entière dans une affirmation ontologique. Il existe une subjectivité sociale mondiale porteuse de vie et de désir, inaccessible au moi, et transversale aux grands ensembles institutionnels hiérarchisés qui prétendent gouverner le monde. La « subjectivité mondiale » ne figure pas sous ce nom dans les écrits de Félix.
Le colloque porte sur Deleuze et Guattari. Le nom de Guattari est rejeté dans l’ombre par celui de Deleuze, avec qui il écrivit L’Anti-Œdipe, et on ne sait rien de lui. C’est de lui que veux parler ici et je le nommerai « Félix », comme nous l’appelions tous, bien que son prénom officiel fût Pierre. J’ai travaillé auprès de lui de 1966 à 1972 à la clinique psychiatrique de La Borde, dont il était l’administrateur, puis dans le cadre du Cerfi, une coopérative de chercheurs en sciences sociales qu’il a créée en 1967 et dont j’ai été le premier trésorier. Sa parole – plus que ses écrits – m’a atteint en profondeur, ce que je ne pourrais dire ni de Gilles Deleuze, ni des ouvrages communs aux deux hommes.