L’infini devant soi

La notion d’univers multiples évoque immédiatement la littérature de science-fiction où les héros, défiant l’apparente incompressibilité de l’espace et du temps, passent avec une facilité déconcertante de l’avenir au passé, du monde familier qui nous entoure à des univers parallèles mystérieux tout droit sortis de l’imagination débridée de leurs créateurs. Or, il se trouve que cette notion a aussi sa place dans la science contemporaine, dans les théories physiques les plus admises et éprouvées (mécanique quantique, relativité générale, théorie des trous noirs), mais aussi dans les plus controversées et en devenir (théorie des cordes, gravitation quantique à boucles). Pour surprenant que cela paraisse au premier abord, il faut cependant remarquer que les univers multiples occupent la littérature scientifique et philosophique depuis bien longtemps. On les trouve déjà chez Anaximandre, puis chez les atomistes de l’Antiquité, à la Renaissance avec Nicolas de Cues, dans les mondes possibles de Leibniz et dans la philosophie contemporaine, chez Lewis et Goodman notamment. Bien sûr, ces auteurs donnent au concept des fonctions et des contenus différents. Il n’en reste pas moins que l’idée selon laquelle notre univers n’est qu’un parmi d’autres donne copieusement à penser, à la littérature, à la science, et évidemment aussi à la philosophie.

Il paraissait donc légitime qu’Isabelle Joncour (directrice de la collection 360) invite un cosmologiste (A. Barrau), un physicien théoricien (J.-P. Uzan), un philosophe épistémologue (M. Kistler) et un historien spécialiste de science-fiction (P. Gyger) à débattre assez librement de ce thème au cours d’un dialogue à quatre voix, pour montrer comment les univers multiples de la philosophie, de la science, et de la science-fiction peuvent entrer en résonance.

Les multivers de la physique contemporaine sont examinés dès le début de l’ouvrage. Nous conduisent-ils à penser que nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution copernicienne, d’un nouveau décentrement, peut-être encore plus décisif que les précédents ? Si notre univers n’est pas le seul, faut-il aussi penser que les lois qui le décrivent sont contingentes, qu’elles sont différentes ailleurs ? Et si tout existe en matière d’univers, des plus accueillants aux plus inhospitaliers, des plus peuplés aux plus déserts, que devient la thèse du « dessein intelligent », qui prend appui sur les conditions particulièrement favorables à l’émergence de la vie dans notre univers, pour remonter à Dieu ? Enfin, en quoi cette réflexion sur les multivers peut-elle nous inciter à aller vers la philosophie pour nous interroger sur la nature de la vérité scientifique ?

Olivier Chelzen

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