« Dès le point de départ, il est essentiel de mettre de côté certains mythes qui existent aujourd’hui à l’intérieur du mouvement écologique et du mouvement pour la sauvegarde de l’environnement, mythes dont l’emprise est très forte.
Je ne me considère pas comme un «environnementaliste», que cela soit très clair, mais comme un écologiste. Il importe d’établir une distinction très nette entre «environnementalisme» et «écologisme». Les sciences de l’environnement sont des sciences d’engineering. Le grand projet des «ingénieurs», c’est de transformer la nature en harmonieuse machine, admirablement montée, parfaitement aérodynamisée, aussi efficace qu’élégante, que nous pouvons contrôler et dominer de la même façon que nous dominons et contrôlons une automobile – tout en espérant, bien sûr, que cette machine n’aura aucun effet secondaire néfaste sur nos vies. Ah, si seulement les arbres poussaient avec régularité, si seulement nous pouvions faire disparaître de l’environnement les facteurs cancérigènes, alors il serait possible de vivre avec la nature et de la contrôler de la bonne façon (appropriately).
Je n’aime pas la «technologie appropriée» (appropriate technology), j’aime la technologie qui libère ou la technologie libertaire. Expliquons-nous. La nature est vivante et nous faisons partie de la nature. L’important pour nous, ce n’est pas de contrôler la nature, mais de nous y intégrer, de devenir une entité à l’intérieur de la nature, qui fasse preuve d’une prise de conscience de cette même nature, qui la comprenne, qui y incorpore du rationnel et du mental. La nature n’est pas une machine, de la même façon que les personnes ne sont pas des machines.
Si nous concevons la nature comme une machine qu’il nous est donné de contrôler et de dominer, alors nous en arrivons à concevoir les personnes aussi comme des machines susceptibles de contrôle et de domination. Je ne suis pas du tout d’accord avec le point de vue environnementaliste qui nous recommande de nettoyer la nature et d’«arranger» la nature de façon à pouvoir la dominer, de la même façon que les hommes dominent les femmes, que les vieux dominent les jeunes, que les êtres humains dominent les êtres humains.
L’écologie est surtout et avant tout une certaine «vision du monde», une sensibilité particulière, et non pas simplement une science. C’est un art qui nous apprend à vivre-avec, à vivre en symbiose, et non pas à manipuler; qui nous apprend à nous ajuster et à nous adapter, et non pas à contrôler; qui nous apprend à promouvoir la vie et non pas la mort, à voir ce qui nous entoure comme des organismes et non pas comme des machines.
L’écologie ne s’intéresse pas à la domination, mais se préoccupe de vivre en harmonie avec la nature parce que nous pouvons vivre en harmonie l’un avec l’autre. C’est là l’essence de l’écologie. Si nous adoptons des rapports hiérarchiques les uns avec les autres, la nature devient à son tour elle aussi un objet que l’on peut dominer, contrôler. Notre attitude envers la nature dépend du genre de rapports que nous entretenons entre nous. Il n’y aura pas de solution au problème écologique tant que nous n’aurons pas fait disparaître la domination des humains entre eux, et conséquemment la domination de l’humanité sur la nature.
Régionalisme
Une autre chose me tient à coeur: la possibilité d’un régionalisme humaniste, par opposition à un régionalisme qui ne sert qu’à renforcer la centralisation. Aux États-Unis, aujourd’hui, on parle beaucoup de régionalisme. On prend quatre villes et on les amalgame pour qu’elles n’en fassent plus qu’une. On élimine les maires et on invente un nouveau poste: le «manager» de la ville. Personne n’élit ce manager, il est nommé d’office. Du reste, «il» est toujours un mâle. Il devient le technocrate qui administre quatre villes au lieu d’une. Ensuite, on répète le coup avec cinq ou dix villes et on appelle ça du «régionalisme».
Ce n’est pas du régionalisme, c’est une technique de centralisation qui sert à détruire une région, à la rendre homogène. Le vrai régionalisme, lui, permet à la base vivante d’une société de retrouver son sens de la communauté, de redevenir cette communauté. Le régionalisme, c’est non seulement la découverte de la réalité d’une région ou de l’existence de plusieurs régions qui forment ensemble un pays, un État ou une province, c’est aussi et d’abord. la redécouverte du «voisinage». Sans voisinage, il n’y a pas de régionalisme. Le vrai régionalisme ne peut s’obtenir que par l’intégration et la fédération des villes, en partant de la base pour aller vers le haut.
Le «régionalisme» qu’on essaie d’implanter en Floride, par exemple, n’est qu’une étape vers une massive centralisation. On utilise le terme de «régionalisme», bien sûr, mais dans le but de solidifier le gouvernement de l’État, d’affaiblir les gouvernements locaux et d’anéantir le pouvoir local… au nom du régionalisme.
Le vrai régionalisme ne doit pas mener à la centralisation, mais plutôt à la décentralisation, et doit rejoindre la communauté elle-même, base du «voisinage». Et si nous n’arrivons pas -à trouver au niveau du voisinage les fondements qui nous permettraient de coordonner les personnes et de former une société vraiment libertaire, non hiérarchique et démocratique, alors tous nos efforts seront vains. Le mot «régionalisme» ne sera plus qu’un synonyme de «fascisme», rien d’autre. Il ne faut jamais oublier cela.
Les villes de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec doivent contrôler elles-mêmes leur propre destinée. Il en est ainsi également de leurs quartiers respectifs. Le quartier St-Jacques à Montréal, les différents quartiers de Trois-Rivières ou de Québec doivent, eux aussi, pouvoir décider de leur sort. Les quartiers doivent posséder ce pouvoir fondamental d’autodétermination sans lequel on ne saurait les grouper ensemble pour former une région.