Francesco Orlando et le grand bric-à-brac des lettres

L’œuvre critique de Francesco Orlando, grand maître – récemment décédé – de la théorie littéraire transalpine, reste peu traduite [1] et largement ignorée. Plusieurs raisons à cela : son freudisme hétérodoxe, difficilement compatible avec la tradition psychologique et le lacanisme de la « textanalyse » à la française [2] ; l’écart revendiquée par elle, aussi, avec les paradigmes et les écoles dominant le champ académique post-structuraliste (histoire littéraire, narratologie, critique thématique…) ; sa sophistication et sa technicité, enfin, qui la rendent aussi séduisante que peu maniable. Le présent volume [3] vient heureusement réparer cette négligence et constitue, dans le paysage éditorial actuel, une somme critique d’une originalité, d’une envergure et d’une exigence rares.

Sa thèse ? La littérature constitue le lieu privilégié d’un « retour du réprimé » (p. 22), voué à « contredire, dans son espace imaginaire, l’ordre du réel » (p. 24). Sa méthode ? Débusquer ce qui, dans les œuvres, dans des textes compris comme négatifs photographiques, résiste à et témoigne (donc) de l’histoire. Or c’est précisément dans les choses, dans la représentation littéraire des choses qu’Orlando trouve matière à étayer ce point de vue. « Chaque chose, écrivait Engels à propos de l’utilitarisme occidental et de sa greffe capitaliste, fut sommée de justifier son existence devant le tribunal de la raison, ou bien de renoncer à l’existence ». De là, selon le critique italien, l’accent mis – au théâtre, dans le roman, en poésie – sur l’envers du décor : sur l’ordre du lacunaire. Sur ces rebuts échappant, depuis la fin du XVIIIe siècle, à la marchandisation environnante. L’espace littéraire apparaît alors comme une vaste décharge, comme « ramassis » (p. 15) ou « débarras [permettant] le retour du réprimé antifonctionnel » (p. 36).

Boris Lyon-Caen

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