Femmes et Patriarcat

La situation juridique et l’ordre moral

Il est vrai que la femme marocaine occupe actuellement des postes importants tels ceux de conseillère auprès du Roi, ministre, secrétaire d’Etat, ambassadrice, recteur ou doyenne d’université …, mais il est aussi étonnant, qu’après plusieurs décennies de lutte contre l’archaïsme, le nombre de ces femmes reste très limité, alors que sur le plan du discours officiel, on ne rate aucune occasion pour déclamer le slogan visant la promotion de la notion d’égalité des chances et des droits, de la justice et de la démocratie.

Malgré son avancée sur la scène publique, fille, mère ou grand-mère, ministre ou doyenne, ingénieur ou docteur, employée ou chômeur, le Code du statut personnel (Moudawana, articles de lois qui gèrent la vie des femmes au sein de la famille, rédigé entre 1957/58 et modifié an 1993) veut que la femme demeure une citoyenne de second ordre. Il la relègue au rang des handicapés et des mineurs. Aussi, la femme a-t-elle toujours besoin d’un tuteur pour contracter mariage ; elle peut être aussi, et à tout moment, victime d’une répudation (divorce unilatéral) et ce en l’absence de toute protection légale ; elle peut également être expulsée du foyer conjugal, puis reprise, tel un objet. Tout cela sous la bannière du droit du retour au foyer conjugal (art 44, 48 et 59 de la Moudawana 1957/58, modifié en 1993).

Certes, ce n’est pas par hasard que les textes de loi protègent la polygamie, désignent le mari comme chef de famille et font de l’obéissance au mari l’un des fondements du foyer conjugal. Cette mentalité fait que la violence conjugale est considérée par les hommes comme un moyen de discipliner leurs femmes et encourage les auteurs des actes de violence à en commettre davantage et en toute impunité.

Par la discrimination légale, les femmes se trouvent victimes de plusieurs types de violation des droits : jeune, elle pourrait être mariée dès l’âge de 15 ans sans pensée aucune à ce qui pourrait lui arriver en la privant ainsi de la jouissance de ses droits en tant qu’enfant, et sans se soucier de ce qu’elle pourrait encourir en la poussant à devenir, par la force des choses, une enfant- mère n’ayant aucun contrôle sur son corps, sur sa maternité ni sur l’avenir de sa progéniture.

Le patriarcat se veut garant de “l’ordre moral” et utilise une arme secrète appelée “spécificité” comme carte maîtresse pour :

  • protéger l’inégalité des droits,
  • vider les conventions de leurs contenus,
  • marquer un recul par rapport aux obligations,
  • légitimer l’obstacle auquel se heurtent les bonnes intentions en matière de la promotion des droits des femmes.C’est cet esprit qui fait que le système juridique marocain, est marqué par la dualité entre modernité et traditionalisme, se débat dans des contradictions qui ne peuvent que nuire au concept des droits humains.

    La loi du silence et l’absence d’une législation

    Il m’a été donné, lors de mon expérience au sein d’un centre d’information sur les droits des femmes à Casablanca, de découvrir (à travers les témoignages des plaignantes) les atrocités que subissent les femmes dans leur vécu quotidien. Je me rappelle bien avoir écouté avec stupeur, et beaucoup de chagrin, leurs témoignages chargés de souffrance, d’amertume … Elles se sentent atteintes dans leur dignité par l’humiliation et la dégradation qu’elles subissent, d’autant plus que cela renforce chez elles le sentiment d’infériorité et de vulnérabilité.

    Par la loi du silence et en l’absence d’une législation incriminant l’abus sexuel conjugal, l’obligation d’obéissance au mari devient une arme fatale contre la femme. Cette situation précaire fait que la femme est exposée, à tout moment, à un ensemble de sévices et de violences allant jusqu’à faire d’elle une victime du viol conjugal. Parfois, même le fait de subvenir aux besoins alimentaires de la famille et le bon traitement des enfants sont réglementé en fonction de la nature de la réaction de la femme aux sévices du conjoint.

    Tout ce qui a trait à la sexualité du couple reste tabou, par la force des choses et de peur que les victimes soient montrées. Parfois, même les agressions sexuelles tombent sous la loi du silence et, par conséquent, nombreuses sont celles qui sombrent dans la dépression. Les femmes violées par leurs maris ne veulent pas en parler de peur d’être rejetées par l’époux ou de se voir reprocher ce fait par leur propre famille.

    Pour ces femmes, la violence sexuelle conjugale est un lot quotidien dont l’origine remonte, peut-être, au premier jour du mariage. Chez d’autres, l’abus sexuel s’est fait jour depuis que le couple s’est fait installer une antenne parabolique.

    Beaucoup d’entre elles confirment le sentiment de dégoût pour leur conjoint et, pour certaines, la soumission à leurs ordres peut leur éviter des bagarres au quotidien. Nombreuses sont celles qui vivent dans des enceintes où s’entremêlent pauvreté, analphabétisme et ignorance et cela en l’absence de toute protection légale ou sociale. Parfois livrées à elles-mêmes, certaines foncent dans les ténèbres de la sorcellerie.

    Filles, mères et grands-mères, gardiennes du patrimoine, messagères des coutumes et des traditions, elles peuvent jouer en faveur du renforcement des tabous, du sacré et de l’interdit. Inconscientes ou malgré elles, les femmes contribuent à la prolifération du patriarcat.

    Que faire et par où commencer ?

    La visibilité sur la question féminine est un grand champ d’action qui nécessite beaucoup de qualités dont, essentiellement, la conviction, la motivation et la persévérance. Les conditions actuelles ne permettent absolument plus de contradiction dans la loi et les temps ne sont plus à ce jeu consistant à brandir la carte de la “spécificité” chaque fois, et spécifiquement chaque fois, qu’il est question de la femme dans le code du statut personnel.

    Je me suis toujours demandé, concernant les autres codes, par quel miracle le législateur est arrivé à fermer les yeux sur les spécifitées culturelles et religieuses. Je me demande aussi, concernant spécialement le code pénal, par quel miracle les personnes jugées pour vol puissent jouir d’une condamnation à des peines d’incarcération alors que la “spécificité” religieuse permet une correction moyennant l’amputation de la main.

    Afin que la femme puisse jouir de ses droits en tant que citoyenne à part entière, la lutte contre l’inégalité et pour l’abolition de la discrimination constitue la voie que devrait emprunter toute action rêvant de la démocratie et visant le changement vu que, jusqu’à preuve du contraire, jamais une démocratie n’a été édifiée sur les discriminations.

    Une ébauche de démocratie est entrain de se dessiner au Maroc. Aussi, comme le parcours menant vers celle-ci est aussi rude que long, il est utile, voire primordial, pour tout citoyen convaincu de l’égalité des droits comme pour toute personne qui milite pour les droits de la femme, de s’accrocher d’avantage à cet idéal afin que l’on passe de l’ébauche à la concrétisation du rêve.

    Et comme le plaidoyer en faveur de la promotion de la démocratie nécessite encore plus d’énergies, il est également utile d’ingurgiter, matin comme soir, une bonne dose de conviction, de rugosité, de savoir, de patience, et surtout d’éthique.

Najat Elboudali

Source:http://www.mernissi.net/civil_society/portraits/najiaelboudali.html

 

 

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