Clint Eastwood et la notion d’équilibre – Petit essai sur la grandeur d’un cinéaste de légende

A propos de l’Amour, John Huston fit dire à Sterling Hayden, le héros de son mémorable Quand la ville dort : « I don’t get it… I don’t get it… ». C’était une façon simple et néanmoins admirable de résumer la prodigieuse complexité d’un sentiment que chacun peut éprouver mais que nul ne peut expliquer rationnellement. Clint Eastwood, qui fut lui-même à l’origine d’un singulier hommage à l’auteur d’African Queen[1], pourrait fort bien susciter de semblables commentaires. Celui dont Orson Welles disait jadis qu’il était « le metteur en scène le plus sous-estimé de Hollywood » est en effet devenu l’un des réalisateurs les plus aimés du Public mais aussi, de la Critique. Or, il est difficile, de prime abord, de déterminer les causes d’un tel engouement pour un cinéaste qui, non content d’avoir souvent abordé des genres conventionnels (le Western, le Policier, le Film de guerre…), a bâti une œuvre que tout incite à taxer d’hétérogénéité, voire, d’incohérence. Ainsi, peut-on, de bonne foi, déceler quelque lien entre des films aussi disparates que Bronco Billy, Firefox, Bird, Sur la route de Madison ou Invictus ? Apparemment, la réponse est négative. Les thuriféraires et les hagiographes de l’artiste, devenu, de son vivant, un dieu du Cinéma, ont certes coutume d’avancer toutes sortes d’arguments pour justifier leur culte. Généralement, ils soulignent l’attrait du maître pour les histoires à la fois simples et pénétrantes, ils vantent son sens du tragique, glorifient le classicisme « Fordien » de sa mise en scène et magnifient sa capacité peu commune à peindre, avec le même talent, des actes de violence, des mondes crépusculaires ou encore, des portraits de femmes d’une émouvante justesse. Toutes ces appréciations ne sauraient être tenues pour quantité négligeable. Néanmoins, une analyse approfondie conduit à penser que la grandeur de Clint Eastwood a une origine plus subtile. Cette source première, qui irrigue la totalité de sa filmographie et lui confère, en définitive, une remarquable cohérence, c’est la recherche, la restauration et la formalisation esthétique d’une notion chère à l’ensemble du genre humain : l’équilibre.
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