Ahmadou Kourouma, un conteur traditionnel sous la peau du romancier

1. Introduction

1. La littérature est généralement définie comme étant l’ensemble des productions littéraires d’une société, d’un pays ou d’un continent. De par sa nature, sa manifestation et ses spécificités, chaque littérature diffère des autres. En ce qui concerne la littérature négro-africaine, Kesteloot (1981 : 6) précise qu’il convient de distinguer «les œuvres écrites en langues européennes et la littérature orale qui s’exprime en langues africaines. » En effet, la littérature africaine a été d’abord orale avant d’être écrite. La littérature traditionnelle africaine est caractérisée principalement par son caractère oral. Elle constitue une littérature à travers laquelle la parole joue un rôle fondamental dans la transmission des valeurs socioculturelles d’une génération à l’autre.

2. Avec l’arrivée des Européens en Afrique, la colonisation aidant, un petit nombre d’Africains ont eu l’occasion d’étudier en 0ccidental et de voyager à l’étranger pour poursuivre des études supérieures. C’est parmi cette élite qu’ont émergé les premiers écrivains africains comme L. S. Senghor, Camara Laye, David Diop, Ferdinand Oyono, Ahmadou Kourouma, etc. Cette littérature négro-africaine émergente d’expression française n’a pas hésité à mettre en relief sa nature militante  ainsi que sa révolte contre la discrimination raciale, l’assimilation, l’exploitation des Noirs et l’hypocrisie des colonisateurs. Parmi les écrivains les plus connus de cette littérature, Ahmadou Kourouma est certainement celui qui s’est le plus distingué d’abord par les thèmes qu’il aborde, ensuite par un style qui confère à ses œuvres leur  singularité.

3. Ce qui mobilise notre attention c’est le fait que cet auteur met sous forme écrite la littérature orale africaine. Autrement dit, il s’agit, ici, de montrer comment Ahmadou Kourouma se présente, le plus souvent, tantôt comme un conteur traditionnel, tantôt comme un griot plutôt qu’un romancier.

2. Ahmadou Kourouma : un écrivain pas comme les autres

4. Né à Boundiali en 1927 (il vient de mourir en décembre 2003), Ahmadou Kourouma est d’origine Malinké. Il était parmi les quelques enfants de son village à être envoyé à l’école pour acquérir l’éducation occidentale, ceci grâce à son oncle Nankoro à qui son père l’avait confié. Contrairement à la plupart des écrivains africains de son époque, dont le militantisme ne s’est révélé qu’à leur arrivée en France pour des études supérieures, Ahmadou Kourouma a fait preuve de son caractère militant très tôt alors même qu’il était en Afrique. En effet, « en 1947 dit-il, quand nous rentrions à l’Ecole Technique Supérieure de Bamako, nous étions politiquement préparés pour les agitations qui secouaient l’AOF. »1 Ainsi, à la suite de sa participation aux mouvements de contestations anti-coloniales, Ahmadou Kourouma, qui était d’ailleurs considéré comme meneur, fut non seulement expulsé de l’Ecole technique Supérieure, mais aussi renvoyé dans son pays natal, la Côte d’Ivoire.

  • 1  Essai sur les Soleils des indépendances (d’Hamadou Kourouma) (1977), La Giraffe, p. 10 – 11.

5. Nous pouvons donc comprendre pourquoi, quelques années plus tard, quand Ahmadou Kourouma décide d’écrire son premier roman, Les Soleils des indépendances, il ne manque pas de  se distinguer des autres écrivains négro-africains de par son style et son langage.  En effet, à la parution de LSI, beaucoup de critiques se sont  demandés si Ahmadou Kourouma écrivait en français ou s’il essayait de transposer sa langue maternelle (le malinké) en français. Nous n’allons pas reprendre, ici, le débat quant au type du langage utilisé par Ahmadou Kourouma, mais il convient de souligner cependant que malgré les diverses critiques et les cris au scandale, Kourouma ne s’est pas découragé et a gardé le même style et le même langage dans ses autres romans comme En attendant le vote des bêtes sauvages dans une moindre mesure et Allah n’est pas obligé. Alors qu’il admet volontiers qu’il traduit le malinké en français, Ahmadou Kourouma affirme également d’après Gassama (1978 : 227), qu’il n’est pas facile, pour un écrivain africain ni d’exprimer en langue étrangère (notamment en français) certaines situations ou réalités africaines, ni d’écrire en langue africaine quand il veut communiquer ses idées dans une langue étrangère.

6. Ahmadou Kourouma se distingue de ses pairs par son attachement à la langue et la culture malinké qui n’échappe pas au lecteur. Selon Osufisan (2000: 238),  Ahmadou Kourouma

est tellement enraciné dans sa culture qu’il entretient une relation symbolique avec celle-ci. Il a décidé, comme le feraient les Français, de garder et de faire vivre à jamais ses valeurs culturelles.  (Notre traduction)

7. Grand défenseur de l’héritage culturel africain Kourouma s’appuie souvent sur la tradition orale pour transmettre ses messages. Une tradition orale qui sert, non seulement à véhiculer la civilisation africaine, mais qui constitue également, selon Kesteloot (2001 :13) :

La source inépuisable des interprétations du cosmos, des croyances et des cultes, des lois et des coutumes ; des systèmes de parenté et d’alliance ; des systèmes de production et de répartitions des biens ; des modes de pouvoirs politiques et de stratifications sociales ; des critères de l’éthique et de l’esthétique ; des concepts de représentations des valeurs morales.

8. Ainsi, nous constatons que le style de narration dans les romans de Kourouma s’apparente beaucoup à celui d’un conteur traditionnel africain, d’une part, et à celui d’un griot, d’autre part, comme nous allons le démonter, dans les lignes qui suivent, en nous appuyant sur ses romans dont Les Soleils des indépendances, En attendant le vote des bêtes sauvages et Allah n’est pas obligé.

Mufutau Adebowale Tijani

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