La victoire des rebelles en Libye est « pleine d’incertitudes », a jugé lundi un expert en relations internationales de l’université SciencesPo de Paris, Bertrand Badie, interviewé par Xinhua à la veille de la conférence internationale sur la Libye prévue jeudi à Paris.
Selon M. Badie, trois incertitudes sont à souligner : la grande diversité quasi-conflictuelle qui règne au sein du Conseil national de transition ou CNT (organe politique de l’opposition libyenne), la difficulté de mettre en place un nouveau régime politique et, enfin, le rôle que joueront les puissances étrangères dans cette nouvelle Libye.
Ainsi, il s’agit d’abord de savoir « qui va l’emporter à l’intérieur de cette coalition très mystérieuse (du CNT) et dans quelle mesure ceux qui vont l’emporter vont imposer leur volonté à ceux qui auront été défaits ».
En effet, la rébellion libyenne est « formée de courants politiques très contradictoires puisqu’on y trouve des démocrates, des libéraux mais aussi des islamistes (..) », a-t-il souligné, ajoutant que ce sont essentiellement « des représentants de l’Est de la Libye, de la Cyrénaïque qui a toujours voulu faire sécession par rapport à la Tripolitaine ».
Quant à la question de la construction d’un nouveau système politique dans le pays, après les 42 ans de règne du colonel Mouammar Kadhafi, l’universitaire a cité l’exemple de l’Irak où « les Américains ont fait chuter Saddam Hussein en 5 semaines », mais où « il aura fallu ensuite des années et des années, et ce n’est pas terminé, pour construire un nouveau système politique ».
Enfin, concernant le poids des puissances étrangères dans la Libye post-Kadhafi, M. Badie a constaté que ce pays pétrolier riche et stratégique, en tant que « trait d’union entre le Moyen- Orient et le Maghreb, entre le monde arabe et l’Afrique » et « lieu de transit pour l’immigration », intéresse beaucoup « tant la communauté internationale que les communautés régionales ( notamment la Ligue arabe et l’Union africaine) ».
Par ailleurs, pour cet expert en relations internationales, la Conférence des amis de la Libye, évènement international qui doit se tenir jeudi à Paris (le 1er septembre), à l’initiative du président français, Nicolas Sarkozy, et du premier ministre britannique, David Cameron, « est d’assez mauvais signe ».
« Commencer un processus de construction étatique et national par une conférence internationale qui donne le rôle principal aux puissances occidentales (..) rendra probablement encore plus difficile la mise en place d’un régime consensuel et accepté par la population (libyenne) », a-t-il expliqué.
Selon M. Badie, il y a plusieurs impacts régionaux et internationaux de la guerre en Libye. « Le premier c’est que la fin du régime de Kadhafi, c’est quand même la fin d’un monde : c’est 42 ans de règne, c’est un système politique qui était extrêmement isolé et qui maintenant va reprendre sa place dans la vie régionale, » a souligné M. Badie.
« Sur l’aspect international, il y a quelque chose de très important : c’est que l’action occidentale vient relancer clairement le modèle néoconservateur. C’est la conviction que les démocraties occidentales ont une mission à accomplir à travers leur diplomatie mais aussi à travers leurs ressources militaires pour transformer les régimes qui ne sont pas conformes à leur vision de la démocratie et de la politique mondial….. cette stratégie néoconservatrice d’intervention militaire pour transformer les régimes est relancée », a analysé M. Badie.
« Alors je crois que la communauté internationale doit regarder cela de très près car si les Occidentaux sont confortés dans l’idée qu’ils peuvent, par leur pression militaire, changer les régimes, cela peut se reproduire dans différents pays, dans différentes situations », a-t-il ajouté.
Agence de presse Xinhua
31 août 2011
Source http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=26312