Au Maroc, la nouvelle Moudawana fête ses cinq ans. La chanteuse Najat Atabou en a d’ailleurs fait sa cause et reprend avec conviction son refrain: «Wach fhemtou lmoudawwana oula nchara likoum ana?»* Pourtant, nous ne célébrons pas toutes et tous cet anniversaire avec le même enthousiasme. Car dans la société à multiples vitesses qui est la nôtre, la condition de femme est loin d’être vécue de façon identique.
D’abord, la loi. On nous dira que la loi marocaine en ce qui concerne les femmes est l’une des plus progressistes des pays arabes. La Moudawana a certes permis des avancées indiscutables: interdire la répudiation, empêcher un ex-mari de jeter à la rue son ex-épouse et leurs enfants, faciliter l’accès des femmes au divorce, rendre les époux responsables à égalité de leur famille… La réforme du Code de la nationalité donne aussi aux femmes marocaines la possibilité de transmettre leur nationalité, ce qui est inédit dans les pays voisins. Le seul problème, c’est que la loi est inégalement appliquée, et que les préoccupations des femmes, selon les milieux où elles vivent, sont parfois à des années-lumière de celle-ci.
Incohérences du système juridique
Dans un documentaire poignant intitulé Je voudrais vous raconter, la réalisatrice Dalila Ennadre faisait une enquête en milieu rural sur l’impact de ce nouveau Code de la famille et demandait aux femmes si elles savaient qu’elles avaient de nouveaux droits: «Mais de quoi elle parle, celle-là ?» lançait l’une d’elle. Aujourd’hui, malgré le travail remarquable des associations féministes, dont l’AMDF et la LDDF, qui rassemblent plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, la loi est loin d’être la même pour toutes, sur l’ensemble du territoire. Une récente enquête du Journal hebdomadaire signalait que dans des zones enclavées du Haut-Atlas, des villages entiers vivent sans le moindre document d’état civil. Les mariages se font en présence de témoins, sans la signature d’aucun acte. L’âge au mariage, notamment celui des filles, échappe donc totalement au contrôle des autorités. Si le mariage des mineures est interdit, les juges ont néanmoins le pouvoir de délivrer des dérogations. Et ils le font à tour de bras : environ 10 % des mariages conclus l’an dernier concernaient des mineures de 18 ans.
Par ailleurs, le vote de la Moudawana n’a pas encore été suivi de l’harmonisation du système juridique. Une personne qui héberge une femme ayant quitté le domicile conjugal, même pour fuir un époux violent, est encore passible, selon le Code pénal, de peines de prison de deux à cinq ans et d’amende, pour l’avoir aidée à se «dérober à l’autorité de laquelle elle est légalement soumise». Alors que cette notion de soumission à l’autorité n’existe plus dans le nouveau Code de la famille. Une telle disposition est un grave handicap pour les associations qui luttent contre la violence à l’encontre des femmes, car les refuges qu’elles offrent sont toujours soumis au bon vouloir des autorités locales, et non protégées par la loi. Le même Code pénal donne encore la possibilité à un violeur d’échapper aux poursuites pour peu qu’il épouse sa victime. On se doute bien que la famille constituée dans ces conditions présente tous les facteurs de risque de développement de la violence. De plus, la notion de viol conjugal n’existe pas: autre source de violence. Les récentes campagnes de sensibilisation et de lutte contre la violence faite aux femmes ont fait apparaître des chiffres alarmants.
Les associations féministes continuent à lutter pour faire harmoniser ce système législatif, mais la route est encore longue.