1. Les lecteurs royaux. — Le Collège de France doit son origine à l’institution des lecteurs royaux par le roi François Ier, en 1530.
2. L’Université de Paris avait alors le monopole de l’enseignement dans toute l’étendue de son ressort. Attachée à ses traditions comme à ses privilèges, elle se refusait aux innovations. Ses quatre facultés : Théologie, Droit, Médecine, Arts, prétendaient embrasser tout ce qu’il y avait d’utile et de licite en fait d’études et de savoir. Le latin était la seule langue dont on fît usage. Les sciences proprement dites, sauf la médecine, se réduisaient en somme au quadrivium du moyen âge. L’esprit étroit de la scolastique décadente y régnait universellement. Les écoles de Paris étaient surtout des foyers de dispute. On y argumentait assidûment ; on y apprenait peu de chose. Et il semblait bien difficile que cette corporation, jalouse et fermée, pût se réformer par elle-même ou se laisser réformer.
3. Pourtant, un esprit nouveau, l’esprit de la Renaissance, se répandait à travers l’Europe. Les intelligences s’ouvraient à des curiosités inédites. Quelques précurseurs faisaient savoir quels trésors de pensée étaient contenus dans ces chefs-d’œuvre de l’Antiquité, que l’imprimerie avait commencé de propager. On se reprochait de les avoir ignorés ou méconnus. On demandait des maîtres capables de les interpréter et de les commenter. Sous l’influence d’Érasme, un généreux mécène flamand, Jérôme Busleiden, venait de fonder à Louvain, en 1518, un Collège des trois langues, où l’on traduisait des textes grecs, latins, hébreux, au grand scandale des aveugles champions d’une tradition sclérosée. L’Université de Paris restait étrangère à ce mouvement.
4. François Ier, conseillé par le savant humaniste Guillaume Budé, « maître de sa librairie », ne s’attarda pas à la convaincre. Il institua en 1530, en vertu de son autorité souveraine, six lecteurs royaux, deux pour le grec, Pierre Danès et Jacques Toussaint ; trois pour l’hébreu, Agathias Guidacerius, François Vatable et Paul Paradis ; un pour les mathématiques, Oronce Finé ; puis, un peu plus tard, en 1534, un autre lecteur, Barthélémy Masson (Latomus), pour l’éloquence latine. Les langues orientales autres que l’hébreu firent leur entrée au Collège avec Guillaume Postel (1538-1543), l’arabe en particulier, avec Arnoul de L’isle (1587-1613).
5. Le succès justifia cette heureuse initiative. Les auditeurs affluèrent auprès des nouveaux maîtres. Par là, un coup mortel venait d’être porté aux arguties stériles, aux discussions à coups de syllogismes, aux recueils artificiels qui avaient trop longtemps tenu la place des textes eux-mêmes. Par l’étude des langues, on remontait aux sources. On y retrouvait le pur jaillissement d’une pensée libre et féconde.
6. Ainsi naquit le Collège de France. Ne relevant que du roi, dégagés des entraves qu’imposaient aux maîtres de l’Université les statuts d’une corporation trois fois séculaire, affranchis des traditions et de la routine, novateurs par destination, les lecteurs royaux furent, pendant tout le xvie siècle, les meilleurs représentants de la science française. Le Collège, pourtant, n’avait pas encore de domicile à lui. Il ne constituait même pas une corporation distincte, à proprement parler ; il n’existait, comme personne morale, que par le groupement de ses maîtres sous le patronage du grand aumônier du roi. Mais son unité résultait de leur indépendance même. Et déjà, il assurait son avenir par la valeur et l’influence de quelques-uns d’entre eux, tels qu’Adrien Turnèbe, Pierre Ramus, Jean Dorat, Denis Lambin, Jean Passerat, comme aussi par la reconnaissance qu’ils inspiraient à d’illustres auditeurs, un Joachim du Bellay, un Ronsard, un Baïf, un Jacques Amyot. Leurs méthodes d’enseignement étaient variées. Les uns faisaient surtout œuvre de critiques et d’éditeurs de textes ; d’autres commentaient, quelquefois éloquemment, comme Pierre Ramus, les orateurs ou les philosophes, les historiens ou les poètes de l’antiquité classique. Tous, ou presque tous, étaient vraiment des initiateurs en même temps que des érudits.